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lant, comme δειλός, craignant. Le mot νεῖλος, en outre, a pu signifier bleu, comme son congénère sanscrit nîlas ; mais, après avoir vu le fleuve lui-même, je penche plutôt pour le sens de coulant, rapide, que pour celui de bleu, car la couleur de ses eaux n’a rien de commun avec celle du ciel.

Nous dînons à Afteh dans une affreuse baraque bâtie sur la berge du Nil et qu’on intitule le Restaurant. Le dîner, quoique très-cher, n’est pas trop mauvais. Nous arrivons au Caire à la nuit close, par un beau clair de lune ; nous nous hissons dans un fiacre qui nous mène à l’hôtel Coulomb, en passant sous les grands lebbakh d’une promenade publique, appelée l’Ezbeki. Le premier aspect d’une ville nouvelle a toujours quelque chose d’attrayant, comme tout ce qui est nouveau. L’imagination aidant, on peut voir tout en beau ; on peut supposer tout ce qui n’est pas ; les plus vilaines masures semblent des kiosques élégants, car on ne reconnaît pas la nature des matériaux ; on n’aperçoit que les lignes et les masses. Et quand c’est au clair de la lune que ce premier abouchement a lieu, l’illusion est complète. La lune adoucit toutes les aspérités, efface toutes les duretés de forme et de couleur, répand sur les objets une teinte veloutée, nacrée, qui les fait ressembler à des fantômes de vapeurs qu’un coup de vent peut dissiper. La douceur de la température tout à fait printanière, quoique ce jour soit le 23e du mois de novembre, complète le charme en nous inspirant un sentiment de bien-être qui tient de près à la volupté. C’est une soirée telle que celles des Champs-Élysées décrites par les poètes, et sans doute qu’en se rendant sous les ombrages de l’Ezbeki, on y rencontrerait des processions d’âmes errantes et bienheureuses.

Nous descendons à l’hôtel d’Orient, tenu par un Français, M. Coulomb. C’est une grande bâtisse à deux étages, située vis-à-vis de la promenade de l’Ezbeki ; sa longue façade blanche à la chaux reluit au clair de lune à travers la verdure sombre des ombres.