Page:Delâtre - L’Égypte en 1858.djvu/7

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 10 —

sortes d’escroqueries, qu’on qualifie du titre pompeux d’opérations de banque ou de commerce. Nul n’a le droit de vous rien dire. Mais, dès que vous changez de place, fussiez-vous le plus honnête homme du monde, vous devenez suspect. Tous les gendarmes sont à vos trousses, toutes tes polices ont les yeux sur vous ; on vous interroge comme un criminel, on vous mesure comme une marchandise, on vous fouille comme un coupeur de bourses, on dépêche votre signalement à toutes les frontières ; vous ne pouvez faire un pas sans être visé, timbré, paraphé, escorté, espionné. Il est bon d’ajouter que c’est vous qui payez toutes les précautions inutiles que l’on prend à votre égard ; et comme, pour garder un aussi grand coquin que vous, il faut une surveillance très-active, elle finit par vous coûter presque autant que le voyage lui-même. Voilà la façon dont les modernes entendent l’hospitalité. Ces braves païens avaient la sottise de bien accueillir les hôtes, de respecter leurs personnes et leurs propriétés. Les chrétiens font beaucoup mieux ; peu s’en faut qu’ils ne logent et ne nourrissent les étrangers aux frais de l’État dans une bonne prison. Cela viendra, je l’espère, bientôt, avec les progrès toujours croissants de la civilisation et du crétinisme.

Autrefois les Anglais voyageaient pour leur plaisir, aujourd’hui, ils voyagent pour leurs affaires. Le Ripon a une cargaison de deux cents gentlemen qui se rendent aux Indes par la voie d’Égypte, non pas pour aller étudier le sanscrit dans les pagodes ou chasser le tigre dans les jongles, mais pour chasser les Indous de leurs foyers.

La guerre appelle la guerre ; le sang appelle le sang. La cause des Anglais éveille peu de sympathies, car ils n’ont apporté dans leur conquête aucune vue civilisatrice. On applaudirait à leurs efforts pour regagner les Indes, s’ils se proposaient d’éclairer et de régénérer ces populations abruties par leurs prêtres et leurs princes ; mais les Anglais ne tiennent à la possession des Indes que par esprit de spéculation. Cependant, chose merveilleuse, et qui prouve que la