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ROCHEBRUNE.

saurait être plus modeste et plus injuste envers soi-même. Il est vrai que c’est de la modestie à bon marché et qui ne tire pas à conséquence. Elle n’est pas sans prêter, toutefois, à l’équivoque. Rochebrune, d’une ancienne et noble famille de la haute Auvergne, comptait parmi les intimes de la maison d’Arouet, et témoignait à l’enfant une affection que la gentillesse, l’esprit précoce de ce dernier eussent suffisamment expliquée, sans qu’on eût à rechercher une cause moins désintéressée et moins pure à ce penchant. L’on n’est pas moins choqué, de quelque façon qu’on la veuille entendre, d’une plaisanterie de cette nature, bien que celui à qui elle allait ne put se tromper sur son vrai sens. Il est assez d’esprits portés à voir le mal dans les choses les plus innocentes pour que Rochebrune, en son temps, ait été accusé, de compte à demi avec Chateauneuf, d’être des mieux avec madame Arouet ; et, cela étant, Voltaire, qui ne devait pas l’ignorer, eût dû, ce semble, s’interdire tout prétexte à allusions sur une histoire déjà vieille alors, car, en juin 1744, il n’avait guère moins de cinquante ans. Ce ne sont pas, d’ailleurs, les seuls vers où nous le trouvons badinant sur un pareil sujet, et ces derniers au poëte Duché prouvent, une fois de plus, que, lorsque l’esprit l’emporte, il ne regarde guère qui le trait va frapper :


Dans tes vers, Duché, je te prie,
Ne compare point au Messie
Un pauvre diable comme moi :
Je n’ai que sa misère,
Et suis bien éloigné, ma foi,
D’avoir une vierge pour mère[1].

  1. Voltaire, Œuvres complètes (Beuchot), t. XIV, p. 309.