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questions de mariage sur lesquelles on prétend ne pouvoir céder sans péché. Quand la raison laïque aura généralement compris les questions de mariage comme elle en est venue à comprendre celle du prêt à intérêt, elle dira à l’Église : « C’est assez ! Place au plus éclairé. » Et l’on entendra une immense clameur dans le monde sur la perversité humaine ; puis l’Église cédera peu à peu et trouvera comme par le passé moyen de déclarer que ce qui était péché ne l’est plus. Il y a cinquante questions sur lesquelles la raison laïque a fait peu à peu reculer l’Église, et il en reste au moins autant à régler de la même manière entre les deux grandes rivales, celle-là remportant toujours à la longue la victoire sur celle-ci. Et il n’en saurait être autrement puisqu’il faut de toute nécessité, dans l’ordre de la Providence, que le passé cède la place à l’avenir ; que la raison d’un siècle soit corrigée par la raison du siècle suivant ; puisque le progrès veut que ce qui est vérité aujourd’hui devienne erreur demain par suite de la plus grand somme de lumière que la marche du temps fait incessamment jaillir sur l’humanité ; puisqu’enfin Dieu ayant fait du progrès la loi fondamentale des sociétés humaines, il est impossible que l’Église elle-même ne subisse pas cette loi tout en protestant contre en toute occasion.

La même chose arrivera relativement à la dernière mesure prise par V. G. à l’égard des paroissiens de Beauharnois. Laissons de côté la question des régîtres de paroisses, sur laquelle V. G. paraît n’être pas encore fixée sur la manière la plus sûre de maintenir le défi qu’elle a porté depuis longtemps à l’autorité civile. Mieux vaut là dessus attendre la publication des documents qui sont encore secrets pour le public.[1] Mais quant à la mesure de Beauharnois, je la regarde comme de la plus haute gravité parce qu’elle constitue une tentative évidemment inconstitutionnelle mais très sérieuse, de taxer le peuple du pays sans l’agrément de la Législature. Il est impossible que V. G. n’ait pas un peu envisagé ce point de vue de la question, mais comme les prétentions ultramontaines sont que tout ce que l’Église veut est nécessairement légitime même à l’encontre des lois, et que toute opposition du pouvoir civil à ce que décide l’Église même en matière temporelle est illégitime en soi, cette considération de taxer le peuple sans le consentement de la Législature ne pouvait avoir grand effet sur Elle. D’ailleurs V. G. n’est occupée depuis longtemps qu’à étudier sa stratégie et à prendre ses positions devant le pouvoir civil pour la grande lutte qu’Elle prépare pour faire consacrer ici le principe de la suprématie du Pape sur notre ordre social et politique ; et quand Elle croira avoir suffisamment fortifié ses positions, et se jugera suffisamment appuyée sur une opinion faussée par l’affirmation incessante et opiniâtre des prétentions ultramontaines, Elle viendra dire au pouvoir civil qu’il doit reculer sous peine de l’excommunication ipso facto de ceux qui le composent. Va sans dire qu’ici comme sur les autres questions, il reste toujours hors de doute que l’Église sera battue, mais elle ne le sera pas sans lutte, car elle ne cède que ce qu’elle ne peut absolument pas garder.

Par cette dernière mesure, V G. a réellement ouvert le feu sur le principe de la suprématie du pouvoir civil. Elle exige des redevances en argent sous peine d’excommunication (refus des sacrements et de la sépulture ecclésiastique.) A-t-elle songé que c’était là, aux yeux des laïcs instruits, faire revenir les plus mauvais jours du moyen-âge ? Je n’en sais rien, mais il est difficile de ne pas voir là le projet bien arrêté de créer des revenus au Clergé sous la menace des peines ecclésiastiques, ce qui est de fait le déclarer complètement indépendant du pouvoir civil dans la sphère purement civile.

Le Clergé deviendrait donc par là un état dans l’état, prêt à défier celui-ci selon les circonstances !

  1. Comme j’ai pu depuis me procurer quelques uns de ces documents, je croîs devoir les soumettre au public. On les trouvera à la note B, à la fin du volume. [15 Mai 73]