Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/262

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— Oui, répondit Rose ; pardonnez-moi de vous parler ainsi, mais je voudrais que vous fussiez parti.

— J’ai été amené ici par la plus douloureuse, la plus affreuse de toutes les craintes, dit le jeune homme, la crainte de perdre l’être unique sur lequel j’ai concentré tous mes désirs, toutes mes espérances ; vous étiez mourante, en suspens entre le ciel et la terre. Et nous savons que, lorsque la maladie s’attaque à des personnes jeunes, belles et bonnes, leur âme sans tache se tourne d’elle-même vers le brillant séjour de l’éternel repos ; nous ne savons que trop que ce qu’il y a de plus beau et de meilleur ici-bas est souvent moissonné dans sa fleur. »

Des larmes roulaient dans les yeux de la charmante jeune fille en entendant ces paroles, et, quand l’une d’elles tomba sur la fleur sur laquelle elle était penchée, et brilla dans son calice qu’elle embellissait encore, il sembla qu’il y avait une parenté entre ces larmes, rosée d’un cœur jeune et pur, et les plus charmantes créations de la nature.

« Un ange, continua le jeune homme d’un ton passionné, une créature aussi belle et aussi céleste qu’un des anges du ciel, ballottée entre la vie et la mort ; oh ! qui pouvait espérer, quand ce monde lointain, sa vraie patrie, s’ouvrait déjà à ses yeux, qu’elle reviendrait partager les douleurs et les maux de celui-ci ? Savoir, Rose, que vous alliez passer et disparaître, comme une ombre vaine, sans aucun espoir de vous conserver à ceux qui souffrent ici-bas ; sentir que vous apparteniez à cette sphère éclatante vers laquelle tant d’êtres privilégiés ont pris dès l’enfance ou dès la jeunesse leur vol matinal, et pourtant prier le ciel, au milieu de ces pensées consolantes, de vous rendre à ceux qui vous aiment : ce sont là des tortures trop cruelles pour les forces humaines ; voilà ce que j’ai enduré nuit et jour, et avec la crainte inexprimable et le regret égoïste que vous ne vinssiez à mourir sans savoir au moins avec quelle adoration je vous aimais : il y avait là de quoi perdre la raison. Vous avez échappé à la mort, de jour en jour et presque d’heure en heure les forces vous sont revenues, et, ranimant le peu de vie qui vous restait encore, vous ont rendu la santé. Je vous ai vue passer de la mort à la vie ; ne me dites pas que vous voudriez que je n’eusse pas été là, car cette épreuve m’a rendu meilleur.

— Ce n’est pas cela que je voulais dire, répondit Rose en pleurant ; je voudrais seulement que maintenant vous fussiez parti, pour continuer à poursuivre un but grand et noble… un but digne de vous.