Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/263

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— Il n’y a pas de but plus digne de moi et plus digne de la nature la plus élevée qui existe, que de lutter pour mériter un cœur comme le vôtre, dit le jeune homme en lui prenant la main. Rose, ma chère Rose, il y a des années, bien des années que je vous aime, et que j’espère arriver à la réputation pour revenir tout fier près de vous et vous dire que je ne l’ai cherchée que pour la partager avec vous ; je me demandais dans mes rêves comment je vous rappellerais, à cet heureux moment, les mille gages d’attachement que je vous ai donnés dès l’enfance, et réclamerais ensuite votre main, comme pour exécuter nos conventions muettes dès longtemps arrêtées entre nous. Ce moment n’est pas arrivé ; mais, sans avoir encore conquis de réputation, sans avoir réalisé les rêves ambitieux de ma jeunesse, je viens vous offrir le cœur qui vous appartient depuis si longtemps et mettre mon sort entre vos mains.

— Votre conduite a toujours été noble et généreuse, dit Rose, en maîtrisant l’émotion qui l’agitait, et, comme vous êtes convaincu que je ne suis ni insensible ni ingrate, écoutez ma réponse.

— Il faut que je tâche de vous mériter, voilà votre réponse, n’est-ce-pas, ma chère Rose ?

— Il faut que vous tâchiez, répondit Rose, de m’oublier, non pas comme votre amie depuis longtemps chèrement attachée à vous, Henry, cela me ferait trop cruellement souffrir ; mais comme objet de votre amour. Voyez le monde, songez combien il renferme de cœurs que vous seriez aussi glorieux de conquérir. Changez seulement la nature de votre attachement, et je serai la plus sincère, la plus dévouée, la plus fidèle de vos amies. »

Il y eut un instant de silence pendant lequel Rose, qui avait mis une main sur sa figure, donna un libre cours à ses larmes ; Henry lui tenait toujours l’autre main.

« Et vos raisons, Rose, dit-il enfin à voix basse, vos raisons pour prendre un tel parti ? puis-je vous les demander ?

— Vous avez le droit de les connaître, répondit Rose, vous ne pouvez rien dire qui ébranle ma résolution. C’est un devoir dont il faut que je m’acquitte, je le dois aux autres et à moi-même.

— À vous-même ?

— Oui, Henry ; je me dois à moi-même, moi sans fortune et sans amis, avec une tache sur mon nom, de ne pas donner au monde lieu de croire que j’ai bassement profité de votre pre-