Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/359

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Mortification de voir ses plans renversés, haine contre la jeune fille qui avait osé entrer en relation avec des étrangers, défiance profonde de sa sincérité quand elle avait refusé de le trahir, amer désappointement de perdre l’occasion de se venger de Sikes, crainte d’être découvert, ruiné, peut-être pendu ; tout cela lui donnait un accès terrible de rage furieuse ; toutes ces réflexions se croisaient rapidement et se heurtaient dans l’esprit de Fagin, et mille projets criminels plus noirs les uns que les autres s’agitaient dans son cœur.

Il resta ainsi complètement immobile et sans avoir l’air de faire la moindre attention au temps qui s’écoulait, jusqu’à ce qu’un bruit de pas dans la rue vint frapper son oreille exercée et attirer son attention.

« Enfin ! murmura-t-il en essuyant ses lèvres sèches et agitées par la fièvre ; enfin ! »

Au même instant un léger coup de sonnette se fit entendre. Il grimpa l’escalier pour aller ouvrir et revint presque aussitôt accompagné d’un individu enveloppé jusqu’au menton et qui portait un papier sous le bras. Celui-ci s’assit, se dépouilla de son manteau et laissa voir les formes athlétiques du brigand Sikes.

« Tenez, dit-il en posant le paquet sur la table ; serrez cela et tâchez d’en tirer le meilleur parti possible. J’ai eu assez de mal à me le procurer. Il y a trois heures que je devrais être ici. »

Fagin mit la main sur le paquet, l’enferma dans l’armoire et se rassit sans dire un mot. Mais il ne perdit pas de vue le brigand un seul instant, et, quand ils furent assis de nouveau face à face et tout près l’un de l’autre, il le regarda fixement. Ses lèvres tremblaient si fort et ses traits étaient si altérés par l’émotion à laquelle il était en proie, que le brigand recula involontairement sa chaise et examina Fagin d’un air effrayé.

« Eh bien ! quoi ? dit Sikes ; qu’avez-vous à me regarder ainsi ? Allons, parlez ! »

Le juif leva la main droite et agita un doigt tremblant, mais sa fureur était telle qu’il fut hors d’état d’articuler un seul mot.

« Morbleu ! dit Sikes qui n’avait pas l’air trop rassuré, il est devenu fou ; il faut que je prenne garde à moi.

— Non, non, dit Fagin en retrouvant la voix, ce n’est pas… ce n’est pas vous, Guillaume ; je n’ai rien… rien du tout à vous reprocher.