Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/453

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M. Jonas Chuzzlewit, dit Mary.

— Oh ! c’est vrai, s’écria Martin qui avait fait fausse route, car il avait cru qu’il s’agissait de Martin. Certainement. Jamais avant ce soir je ne lui avais parlé, monsieur.

— Peut-être, fit observer le vieillard, suffira-t-il de la moitié d’une vie pour payer l’amitié de celui-là. »

Tom sentit l’épigramme, et il ne put s’empêcher de comprendre qu’elle retombait par ricochet sur son patron. Il garda donc le silence. De son côté, Mary s’aperçut que M. Pinch ne brillait pas par la présence d’esprit, et qu’il serait dangereux de le faire parler en semblable circonstance. Elle garda donc aussi le silence. Le vieillard, dégoûté de ce que, dans son esprit soupçonneux, il considérait comme un honteux et ignoble hommage à M. Pecksniff, comme une condescendance mercenaire de M. Pinch, résolu à flatter la main qui lui donnait son pain, le tint dès lors pour un imposteur, pour un vil et misérable courtisan. Aussi gardait-il pareillement le silence ; et, bien qu’ils fussent tous trois mal à l’aise, il est juste de dire que nul ne l’était plus que Martin : car il avait été bien disposé d’abord pour Tom, et s’était intéressé à son apparente simplicité.

« Vous êtes comme les autres, pensa-t-il en scrutant la physionomie de Tom, qui ne se doutait pas de cet examen. Vous avez été au moment de m’en imposer, mais vous en serez pour votre peine ; vous êtes un chien couchant qui vous trahissez vous-même par votre excès de zèle, monsieur Pinch. »

Durant tout le reste du chemin, aucune autre parole ne fut prononcée. Cette première entrevue, que Tom avait depuis longtemps rêvée avec tant d’émotion, ne fut remarquable que par un surcroît de trouble et d’embarras. Ils se séparèrent à la porte du Dragon, Tom soupira, éteignit sa lanterne, et s’en revint à travers champs au milieu des ténèbres.

Comme il approchait de la porte de la haie, qui, placée dans un lieu très-isolé, recevait plus d’ombre encore d’une plantation de jeunes sapins, un homme se glissa devant lui et le dépassa. En arrivant à l’échalier, cet homme s’arrêta et s’assit dessus. Tom éprouva d’abord un saisissement et s’arrêta aussi ; mais il se remit à marcher aussitôt et fut bientôt près de lui.

C’était Jonas. Il balançait ses jambes en suçant la pomme de sa canne, et regardait Tom avec un ricanement.

« Ah ! par exemple ! s’écria Tom ; qui aurait pensé que ce fût vous ?… Vous nous avez donc suivis ?