Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/67

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mon propre cœur que M. Chuzzlewit ne me traite pas, par exemple, moi (je dis moi), avec cette somme d’amour chrétien qui devrait exister entre nous ; j’ai pu être affligé et blessé de cette circonstance ; cependant, je ne me laisserai pas aller à en conclure que M. Chuzzlewit soit absolument injustifiable dans ses rigueurs. Le ciel m’en garde ! Comment d’ailleurs, monsieur Tigg, continua Pecksniff d’un ton plus grave et plus ému qu’il ne l’avait fait encore, comment pourrait-on défendre à M. Chuzzlewit d’avoir ces sympathies particulières et vraiment extraordinaires dont vous parlez, dont je dois admettre l’existence, et que je ne puis que déplorer, dans son intérêt ? Considérez, mon bon monsieur, et ici M. Pecksniff le regarda fixement, combien vous parlez légèrement.

— Quant à cela, répondit Tigg, c’est certainement une question difficile à résoudre.

— Sans nul doute, une question difficile à résoudre, » répéta M. Pecksniff.

Et, tout en parlant, il se mit un peu à l’écart et parut plus pénétré encore de l’abîme moral qu’il avait placé entre lui et son interlocuteur. Il reprit :

« Sans nul doute, c’est une question très-difficile. Et je suis loin d’être bien sûr que qui que ce soit ait autorité pour la discuter. Bonsoir.

— Vous ne savez pas que les Spottletoe sont ici, je suppose ? dit M. Tigg.

— Qu’entendez-vous par là, monsieur ? Quels Spottletoe ? demanda Pecksniff, s’arrêtant brusquement sur le seuil de la porte.

— M. et mistress Spottletoe, dit Chevy Slyme, esquire, parlant tout haut pour la première fois et d’un ton qui n’était pas tendre, en se balançant sur ses jambes. Spottletoe a épousé la fille du frère de mon père, n’est-il pas vrai ? Et mistress Spottletoe est la propre nièce de Chuzzlewit, n’est-il pas vrai ? Et sa nièce bien-aimée au temps jadis, qui plus est. Ah ! vous demandez quels Spottletoe ?

— Eh bien ! ma parole d’honneur ! s’écria M. Pecksniff, les yeux levés au ciel, c’est odieux. La rapacité de ces gens-là est tout à fait effrayante !

— Et il ne s’agit pas seulement des deux Spottletoe, Tigg, dit Slyme regardant ce gentleman. Anthony Chuzzlewit et son fils ont eu vent de la nouvelle et sont ici depuis cette après-