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SUR LES PROBABILITÉS.

matière une dureté absolue ; placez cet atome sur un bloc de marbre gros comme est l’univers ; animez-le du degré de pesanteur le plus petit ; avec ce faible effort et le temps, il parviendra au centre du globe. Avec le temps, tout ce qui est possible dans la nature est. Si l’éternité multiplie le moindre degré de vraisemblance, le produit égalera la plus énorme vraisemblance multipliée par l’instant qui fuit.

Sous le second aspect, c’est une science restreinte à de petits moyens, à une expérience d’un moment, un être qui passe comme l’éclair et qui rapporte tout à sa durée.

Toute la science mathématique est pleine de ces faussetés que M. d’Alembert reproche à l’analyse des probabilités. D’où naissent les incommensurables ? l’impossibilité des rectifications et des quadratures ? C’est la fable de Dédale. L’homme a fait le labyrinthe et s’y est perdu.

Dans le problème des deux joueurs à croix ou pile dont la solution révolte l’esprit au premier coup d’œil, toute l’absurdité est dans les noms des joueurs. Au lieu de Pierre et de Jacques, dites : Oromaze et Arimane jouent sans cesse, et la mise infinie sera juste et le jeu égal. Car qu’est-ce qu’un jeu égal ? Celui où il y a un à parier contre un à chaque coup, et où par conséquent une suite de coups ininterrompue tend sans cesse à rendre le nombre des coups perdus égal au nombre des coups gagnés.

Lorsque vous dites : A et B jouent, vous instituez A et B jouant pendant toute l’éternité : c’est un état permanent. Votre solution est éternelle, et quand vous dites : Pierre et Jacques jouent, vous la restreignez à un instant. L’expression jouent est indéfinie dans le premier cas ; dans le second, au contraire, elle est déterminée.

La question était physico-mathématique, et votre solution est abstraite ; la question supposait des êtres infinis, et votre solution s’applique à des êtres finis, d’où il s’en est suivi qu’on a fait entrer en calcul une multitude de jets qui ne pouvaient être, un avantage imaginaire, une durée chimérique, des sommes et un jeu sans interruption et une vie sans fin.

Pour demeurer dans la physico-mathématique et accorder la demande avec la réponse, voici comment il fallait proposer le problème.

Pierre et Jacques (deux hommes) s’engagent à jouer toute