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ÉLÉMENTS DE PHYSIOLOGIE.

ches, pédicules, feuilles, nervures, fleurs et fruits ; puis le mot arbre qui comprend le tout. Puis le même mot répété.

Il semble que nous passions nos jours par de petits jours et par de petites nuits.

Premièrement, il fait nuit toutes les fois que nous fermons nos paupières ; et combien cela ne nous arrive-t-il pas ?

Si nous ne nous apercevons pas de toutes ces petites nuits, c’est que nous n’y faisons pas attention, car lorsque nous y faisons attention nous nous en apercevons.

Ou bien, c’est que l’impression de la lumière reçue dure en nous plus que la durée du clignotement, et qu’il n’y a point de cessation de lumière ; c’est ici comme au ruban de feu formé par la pointe du charbon ardent.

Autre phénomène : nous ne pouvons penser, voir, entendre, goûter, flairer, être au toucher en même temps ; nous ne pouvons être qu’à une chose à la fois. Nous cessons de voir quand nous écoutons, et ainsi des autres sensations. Nous croyons le contraire, mais l’expérience nous désabuse bientôt.

Toutes sortes d’impressions se font, mais nous ne sommes jamais qu’à une.

Notre âme est au milieu de ces sensations comme un convive aune table tumultueuse qui cause avec son voisin ; il n’entend pas les autres.

Mais comment se fait-il que nous traversions Paris à travers toutes sortes d’embarras, profondément occupés d’une idée, par conséquent parfaitement distraits sur tout ce qui se rencontre, se passe, nous touche, s’oppose à nous, nous environne, sans accident, sans nous tuer, sans blesser les autres ? Comment même se fait-il que dans les choses de pure habitude et de pure sensation nous fassions les choses d’autant mieux que nous y pensons moins ? Nous montons parfaitement bien notre escalier pendant la nuit, si nous n’y pensons pas ; nous commençons à tâtonner quand nous y pensons. Le jour, l’esprit occupé, nous le montons, nous le descendons comme s’il faisait nuit.

Il y a plus : il fait nuit en plein midi dans les rues pour celui qui pense profondément, et nuit profonde.

L’œil nous mène. Nous sommes l’aveugle, l’œil est le chien qui nous conduit, et si l’œil n’était pas réellement un animal se