Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IX.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
365
ÉLÉMENTS DE PHYSIOLOGIE.

la voit pas. Un amant avec imagination la voit, l’entend, lui parle, elle lui répond et exécute en lui-même toute la scène de volupté qu’il se promet de sa tendresse et de sa complaisance. L’imagination met dans cette scène tout ce qui peut y être, mais qui ne s’y trouve que rarement.

L’imagination est la source du bonheur qui n’est pas et le poison du bonheur qui suit. C’est une faculté qui exagère et qui trompe. C’est la raison pour laquelle les plaisirs inattendus piquent plus que les plaisirs préparés. L’imagination n’a pas eu le temps de les gâter par des promesses trompeuses.

Comment l’imagination dérange la marche réglée de la raison ? C’est qu’elle ressuscite dans l’homme les voix, les sons, tous les accidents de la nature, les images qui deviennent autant d’occasions de s’égarer.

L’homme à imagination se promène dans sa tête comme un curieux dans un palais où ses pas sont à chaque instant détournés pour des objets intéressants ; il va, il revient, il n’en sort pas.

L’imagination est l’image de l’enfance que tout attire sans règle.

force d’une image ou d’une idée.

Un malheureux, innocent ou coupable, est jeté dans les prisons sur les soupçons d’un crime. On examine son affaire. On inclinait à le renvoyer sur un plus ample informé, la justice, dans le partage des voix, inclinait in mitiorem partem. Survient un conseiller qui n’assistait jamais, qui n’avait point entendu discuter l’affaire, à qui on l’expose sommairement, et qui opine pour la torture. Voilà ce malheureux torturé, disloqué, brisé, sans qu’on en pût arracher une plainte, un soupir, un mot. Le bourreau disait aux juges que cet homme était sorcier. Il n’était ni plus sorcier ni plus insensible qu’un autre. Mais à quoi tenait donc cette constance dans la douleur dont on ne connaissait pas d’exemple ? Devinez-le si vous pouvez. C’était un paysan ; il s’attendait au supplice préliminaire qu’il avait à subir, il avait gravé une potence sur un de ses sabots, et tandis qu’on le torturait il tenait ses regards attachés sur cette potence.

Qu’importe que l’image soit gravée sur le sabot ou dans la cervelle ?