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ÉLÉMENTS DE PHYSIOLOGIE.

cité, de la pénétration, du génie ? La variété de la mémoire fait-elle toute la variété des esprits ?

On a beau voir, entendre, goûter, toucher, flairer, si l’on n’a rien retenu, on a reçu en pure perte.

Regardez la substance molle du cerveau comme une masse de cire sensible et vivante, mais susceptible de toutes sortes de formes, n’en perdant aucune de celles qu’elle a reçues, et en recevant sans cesse de nouvelles qu’elle garde.

Eh bien, voilà le livre, mais où est le lecteur ? Le lecteur ? c’est le livre même, car ce livre est sentant, vivant et parlant, c’est-à-dire communiquant ou par des sons ou par des traits l’ordre de ses sensations.

Et comment se lit-il lui-même ? En sentant ce qu’il est et en le manifestant par des sons.

Ou la chose se trouve écrite, ou elle ne se trouve point écrite.

Si elle ne se trouve point écrite du tout, on l’ignore. Au moment où elle s’écrit, on l’apprend.

Selon la manière dont elle est écrite, on la savait nouvellement ou depuis longtemps.

Si l’écriture s’affaiblit, on l’oublie.

Si l’écriture s’efface, elle est oubliée.

Si l’écriture se revivifie, on se la rappelle.

Chaque sens a son caractère et son burin.

La mémoire est une source de vices et de vertus. Elle est accompagnée de peine et de plaisir.

C’est elle qui constitue le soi. Elle nous remet au moment de la chose.

Un homme tombe dans une mélancolie profonde qui le conduit à la stupidité. Cette stupidité dure quarante ans ; quelques jours avant sa mort il revient à l’état de raison. Il a réalisé le sommeil d’Épiménide.

Qu’a fait son âme dans ce long intervalle ? A-t-elle dormi ?

Où est-elle dans le noyé qu’on rappelle à la vie de l’état de mort, ou d’un état qui lui ressemble tellement que si le noyé n’avait point été secouru il aurait persévéré dans cet état sans éprouver d’autre changement qu’une torpeur plus profonde ?

L’âme était-elle alors séparée du corps ? Y est-elle rentrée ?