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quoi ce jugement peut parfaitement se concilier avec celui d’Hippocrate, dans sa lettre à son fils Thessalus, où il lui recommande l’étude de la Géométrie, comme d’une science qui sert non-seulement à rendre l’esprit juste, mais de plus à l’éclairer & à le rendre propre à discerner tout ce qu’il importe de savoir dans la Médecine.

Il n’en est pas moins vrai de dire que les médecins qui, en traitant de leur art, ne parlent que de méchanique, & hérissent leurs ouvrages de calculs, ne font le plus souvent qu’en imposer aux ignorans, qui regardent les figures & les calculs, auxquels ils ne comprennent rien, comme le sceau de la vérité, qui est ordinairement si éloignée des ouvrages dans lesquels ils croyent qu’elle est manifestée. Ces auteurs profonds se parent d’une science étrangere à leur art ; &, sans le soupçonner, ils s’exposent au mépris des vrais géometres. N’est-ce pas un contraste frappant que la hardiesse avec laquelle les médecins calculent, & la retenue avec laquelle les plus grands géometres parlent des opérations des corps animés ?

Suivant M. d’Alembert, dans son admirable ouvrage sur l’hydrodynamique, le méchanisme du corps humain, la vîtesse du sang, son action sur les vaisseaux, se refusent à la théorie ; on ne connoît ni le jeu des nerfs, ni l’élasticité des vaisseaux, ni leur capacité variable dans les différens individus, ainsi que la consistance, la ténacité du sang & les degrés de chaleur dans les différens organes.

Quand chacune de ces choses seroit connue, ajoute cet auteur célebre, la grande multitude des élémens qui entreroient dans une pareille théorie, nous conduiroit vraisemblablement à des calculs impraticables ; c’est un des cas les plus composés d’un probleme, dont le plus simple est fort difficile à résoudre.

Lorsque les effets de la nature sont trop compliqués pour pouvoir être soumis à nos calculs, l’expérience est le seul guide qui nous reste ; nous ne pouvons nous appuyer que sur des inductions tirées d’un nombre de faits. Il n’appartient qu’à des physiciens oisifs de s’imaginer qu’à force d’algebre & d’hypotheses, ils viendront à bout de dévoiler les ressors du corps humain.

De telles raisons d’un si grand poids, n’excusent pas cependant l’ignorance de ceux qui, sans le secours de la Géométrie, croyent pouvoir pénétrer dans le méchanisme du corps hûmain ; tous leurs pas seront marqués par des erreurs grossieres ; ils ne sauroient apprécier les objets les plus simples ; tout ce qui aura quelque rapport avec la solidité, l’étendue des surfaces, l’équilibre, les forces mouvantes, le cours des liqueurs, sera un écueil pour eux : si la géométrie ne nous ouvre pas les secrets de la nature dans les corps animés ; elle est un préservatif nécessaire ; c’est un flambeau qui, en éclairant nos pas, nous empêche de faire des chutes honteuses, qui en occasionneroient bien d’autres. Les erreurs sont plus fécondes que la vérité ; elles entraînent toujours avec elles une longue suite d’égaremens.

On ne peut donc décrier que l’abus des mathématiques dans la médecine, & non pas les mathématiques elles-mêmes ; parce que ce seroit proscrire les ouvrages de ce siecle les plus savans, & qui en général répandent le plus de lumiere sur la théorie de l’art : tels sont ceux des Bellini, Borelli, Malpighi, Michelotti, Valsalva, Baglivi, Lancisi, Pitcarn, Keill, Jurin, Bianchi, Freind, Boerhaave, Sauvage, Lamure, Hamberger, Halles, Haller, &c.

Voyez les dissertations de Michelotti, Strom, Boerhaave sur l’article du raisonnement méchanique dans la théorie de la médecine. Voyez Médecine, Économie animale, Nature, &c.

MECHANIQUE, s. f. (Ordre encycl. ent. raison. phil. ou scienc. science de la nat. Mathem. Mathem.

mixt. Méchanique.) partie des mathématiques mixtes, qui considere le mouvement & les forces motrices, leur nature, leurs loix & leurs effets dans les machines. Voyez Mouvement & Force. Ce mot vient du grec μηχανη, machine ; parce qu’un des objets de la méchanique est de considérer les forces des machines, & que l’on appelle même plus particulierement méchanique la science qui en traite.

La partie des méchaniques qui considere le mouvement des corps, en tant qu’il vient de leur pesanteur, s’appelle quelquefois statique. (Voyez Gravité, &c.) par opposition à la partie qui considere les forces mouvantes & leur application, laquelle est nommée par ces mêmes auteurs Méchanique. Mais on appelle plus proprement statique, la partie de la Méchanique qui considere les corps & les puissances dans un état d’équilibre, & Méchanique la partie qui les considere en mouvement. Voyez Statique. Voyez aussi Forces mouvantes, Machine, Equilibre, &c.

M. Newton dans la préface de ses Principes, remarque qu’on doit distinguer deux sortes de méchaniques, l’une pratique, l’autre rationelle ou spéculative, qui procede dans ses opérations par des démonstrations exactes ; la méchanique pratique renferme tous les arts manuels qui lui ont donné leur nom. Mais comme les artistes & les ouvriers ont coutume d’opérer avec peu d’exactitude, on a distingué la Méchanique de la Geométrie, en rapportant tout ce qui est exact à la Géométrie, & ce qui l’est moins à la Méchanique. Ainsi cet illustre auteur remarque que les descriptions des lignes & des figures dans la Geométrie, appartiennent à la Méchanique, & que l’objet véritable de la Géométrie est seulement d’en démontrer les propriétés, après en avoir sûpposé la description. Par conséquent, ajoute-t-il, la Géométrie est fondée sur des pratiques méchaniques, & elle n’est autre chose que cette pratique de la Méchanique universelle, qui explique & qui démontre l’art de mesurer exactement. Mais comme la plûpart des arts manuels ont pour objet le mouvement des corps, on a appliqué le nom de Géométrie à la partie qui a l’étendue pour objet, & le nom de Méchanique à celle qui considere le mouvement. La méchanique rationelle, prise en ce dernier sens, est la science des mouvemens qui résultent de quelque force que ce puisse être, & des forces nécessaires pour produire quelque mouvement que ce soit. M. Newton ajoute que les anciens n’ont guere consideré cette science que dans les puissances qui ont rapport aux arts manuels, sçavoir le levier, la poulie &c ; & qu’ils n’ont presque consideré la pesanteur que comme une puissance appliquée au poids que l’on veut mouvoir par le moyen d’une machine. L’ouvrage de ce célebre philosophe, intitulé Principes mathématiques de la Philosophie naturelle, est le premier où on ait traité la Méchanique sous une autre face & avec quelque étendue, en considérant les lois de la pesanteur, du mouvement, des forces centrales & centrifuges, de la résistance des fluides, &c. Au reste comme la méchanique rationelle tire beaucoup de secours de la Géométrie, la Géométrie en tire aussi quelquefois de la Méchanique, & l’on peut par son moyen abréger souvent la solution de certains problèmes. Par exemple, M. Bernouilli a fait voir que la courbe que forme une chaîne, fixée sur un plan vertical par ses deux extrémités, est celle qui forme la plus grande surface courbe, en tournant autour de son axe ; parce que c’est celle dont le centre de gravité est le plus bas. Voyez dans les Mém. de l’accad. des Scien. de 1714, le mémoire de M. Varignon intitulé, Réflexions sur l’usage que la méchanique peut avoir en Géométrie. Voyez aussi Chainette.

Méchanique, adj. signifie ce qui a rapport à