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soit, voici l’état où fut d’abord mise cette partie de la Musique.

Les premiers qui donnerent aux notes quelques regles de quantité, s’attacherent plus aux valeurs ou durées relatives de ces notes, qu’à la mesure même, ou au caractere du mouvement ; de sorte qu’avant l’invention des différentes mesures, il y avoit des notes au-moins de cinq valeurs différentes ; savoir, la maxime, la longue, la breve, la semi-breve, & la minime. Voyez ces mots.

Dans la suite les rapports en valeur d’une de ces notes à l’autre, dépendirent du tems, de la prolation ou du mode. Par le mode on déterminoit le rapport de la maxime à la longue, ou de la longue à la breve ; par le tems, celui de la longue à la breve, ou de la breve à la semi-breve, ou de la semi-breve à la minime. Voyez Mode, Prolation, Tems. En général toutes ces différentes modifications se peuvent rapporter à la mesure double ou à la mesure triple, c’est-à-dire à la division de chaque valeur entiere en deux ou trois tems inégaux.

Cette maniere d’exprimer le tems ou la mesure des notes, changea entierement durant le cours du dernier siecle. Dès qu’on eut pris l’habitude de renfermer chaque mesure entre deux barres, il fallut nécessairement proscrire toutes les especes de notes qui renfermoient plusieurs mesures ; la mesure en devint plus claire, les partitions mieux ordonnées, & l’exécution plus facile ; ce qui étoit fort nécessaire pour compenser les difficultés que la Musique acquéroit en devenant chaque jour plus composée.

Jusques-là la proportion triple avoit passé pour la plus parfaite ; mais la double prit l’ascendant, & le C ou la mesure à quatre tems, fut prise pour la base de toutes les autres. Or la mesure à quatre tems se résout toujours en mesure en deux tems ; ainsi c’est proprement à la mesure double qu’on a à faire rapporter toutes les autres, du-moins quant aux valeurs des notes & aux signes des mesures.

Au lieu donc des maximes, longues, breves, &c. on substitua les rondes, blanches, noires, croches, doubles & triples croches (voyez ces mots), qui toutes furent prises en division sous-double : de sorte que chaque espece de note valoit précisément la moitié de la précédente ; division manifestement défectueuse & insuffisante, puisqu’ayant conservé la mesure triple aussi-bien que la double ou quadruple, & chaque tems ainsi que chaque mesure devant être divisé en raison sous-double ou sous-triple, à la volonté du compositeur, il falloit assigner ou plûtôt conserver aux notes des divisions proportionnelles à ces deux genres de mesure.

Les Musiciens sentirent bien-tôt le défaut, mais au lieu d’établir une nouvelle division, ils tâcherent de suppléer à cela par quelque signe étranger ; ainsi ne sachant pas diviser une blanche en trois parties égales, ils se sont contentés d’écrire trois noires, ajoutant le chiffre 3 sur celle du milieu. Ce chiffre même leur a enfin paru trop incommode ; & pour tendre des pieges plus sûrs à ceux qui ont à lire leur musique, ils prennent aujourd’hui le parti de supprimer le 3, ou même le 6 ; de sorte que pour savoir si la division est double ou triple, il n’y a d’autre parti à prendre que de compter les notes ou de deviner.

Quoiqu’il n’y ait dans notre Musique que deux genres de mesure, on y a tant fait de divisions, qu’on en peut ou moins compter seize especes, dont voici les signes.

C.


Voyez les exemples, Pl. de Musiq.

De toutes ces mesures, il y en a trois qu’on appelle simples ; savoir le 2, le 3 & le C, ou quatre tems. Toutes les autres, qu’on appelle doubles, tirent leur dénomination & leurs signes de cette derniere,

ou de la note ronde, & en voici la regle.

Le chiffre inférieur marque un nombre de notes de valeur égale, & faisant ensemble la durée d’une ronde ou d’une mesure à quatre tems ; le chiffre supérieur montre combien il faut de ces mêmes notes pour remplir une mesure de l’air qu’on va noter. Par cette regle on voit qu’il faut trois blanches pour remplir une mesure au signe  ; deux noires pour celle au signe  ; trois croches pour celle au signe , &c. Chacun peut sentir l’ineptie de tous ces embarras de chiffres ; car pourquoi, je vous prie, ce rapport de tant de différentes mesures à celles de quatre tems qui leur est si peu semblable ; ou pourquoi ce rapport de tant de différentes notes à une ronde, dont la durée est si peu déterminée ? Si tous ces signes sont institués pour déterminer autant de mouvemens différens en especes, il y en a beaucoup trop ; & s’ils le sont outre cela, pour exprimer les différens degrés de vîtesse de ces mouvemens, il n’y en a pas assez. D’ailleurs pourquoi se tourmenter à établir des signes qui ne servent à rien, puisqu’indépendamment du genre de la mesure & de la division des tems, on est presque toujours contraint d’ajouter un mot au commencement de l’air, qui détermine le degré du mouvement ?

Il est clair qu’il n’y a réellement que deux mesures dans notre Musique, savoir à deux & trois tems égaux : chaque tems peut, ainsi que chaque mesure, se diviser en deux ou en trois parties égales. Cela fait une subdivision qui donnera quatre especes de mesure en tout ; nous n’en avons pas davantage. Qu’on y ajoute si l’on veut la nouvelle mesure à deux tems inégaux, l’un triple & l’autre double, de laquelle nous parlerons au mot Musique, on aura cinq mesures différentes, dont l’expression ira bien au-delà de celle que nous pouvons fournir avec nos seize mesures, & tous leurs inutiles & ridicules chiffres. (S)

Mesure longue, (Antiq. Arts & Comm.) mesure d’intervalle qui sert à déterminer les dimensions d’un corps, ou la distance d’un lieu ; ainsi la ligne qui est la douzieme partie d’un pouce, le pouce qui contient douze lignes, le pié douze pouces, le pas géométrique cinq piés, la toise six piés, &c. sont des mesures longues.

Pour justifier l’utilité de la connoissance de cette matiere, je ne puis rien faire de mieux que d’emprunter ici les observations de M. Freret, en renvoyant le lecteur à son traité sur les mesures longues. Il est inséré dans le recueil de l’acad. des Inscriptions, tome XXIV.

L’histoire & l’ancienne géographie, dit le savant académicien que je viens de nommer, seront toûjours couvertes de ténebres impénétrables, si l’on ne connoît la valeur des mesures qui étoient en usage parmi les anciens. Sans cette connoissance, il nous sera presque impossible de rien comprendre à ce que nous disent les historiens grecs & romains, des marches de leurs armées, de leurs voyages, & de la distance des lieux où se sont passés les événemens qu’ils racontent ; sans cette connoissance, nous ne pourrons nous former aucune idée nette de l’étendue des anciens empires, de celle des terres qui faisoient la richesse des particuliers, de la grandeur des villes, ni de celle des bâtimens les plus célebres. Les instrumens des arts, ceux de l’Agriculture, les armes, les machines de guerre, les vaisseaux, les galeres, la partie de l’antiquité la plus intéressante & même la plus utile, celle qui regarde l’économique, tout en un mot, deviendra pour nous une énigme, si nous ignorons la proportion de leurs mesures avec les nôtres.

Les mesures creuses, ou celles des fluides, sont liées avec les mesures longues ; la connoissance des poids est liée de même avec celle des mesures creuses ou de