Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jet, ou elle rassemble dans un seul ouvrage ce que l’artiste a observé en plusieurs individus. La premiere façon d’imiter produit des copies ressemblantes des portraits. La derniere éleve l’esprit de l’artiste jusqu’au beau général, & aux notions idéales de la beauté. C’est cette derniere route qu’ont choisi les Grecs qui avoient sur nous l’avantage de pouvoir se procurer ces notions, & par la contemplation des plus beaux corps, & par les fréquentes occasions d’observer les beautés de la nature. Ces beautés, comme on l’a dit ailleurs, se montroient à eux tous les jours, animées de l’expression la plus vraie, tandis qu’elles s’offrent rarement à nous, & plus rarement encore de la maniere dont l’artiste desireroient qu’elles se présentassent.

La nature ne produira pas facilement parmi nous un corps aussi parfait que celui d’Antinoüs. Jamais, de même, quand il s’agira d’une belle divinité, l’esprit humain ne pourra concevoir rien au-dessus des proportions plus qu’humaines de l’Apollon du vatican. Tout ce que la nature, l’art & le génie ont été capables de produire, s’y trouvent réunis. N’est-il pas naturel de croire que l’imitation de tels morceaux doit abréger l’étude de l’art. Dans l’un, on trouve le précis de ce qui est dispersé dans toute la nature ; dans l’autre, on voit jusqu’où une sage hardiesse peut élever la plus belle nature au-dessus d’elle-même. Lorsque ces morceaux offrent le plus grand point de perfection auquel on puisse atteindre, en représentant des beautés divines & humaines, comment croire qu’un artiste qui imitera ces morceaux, n’apprendra point à penser & à dessiner avec noblesse & fermeté, sans crainte de tomber dans l’erreur ?

Un artiste qui laissera guider son esprit & sa main par la regle que les Grecs ont adoptée pour la beauté, se trouvera sur le chemin qui le conduira directement à l’imitation de la nature. Les notions de l’ensemble & de la perfection, rassemblées dans la nature des anciens, épureront en lui & lui rendront plus sensibles les perfections éparses de la nature que nous voyons devant nous. En découvrant les beautés de cette derniere, il saura les combiner avec le beau parfait ; & par le moyen des formes sublimes, toujours présentées à son esprit, il deviendra pour lui-même une regle sûre.

Que les artistes sur-tout se rappellent sans cesse que l’expression la plus vraie de la belle nature n’est pas la seule chose que les connoisseurs & les imitateurs des ouvrages des Grecs admirent dans ces divins originaux ; mais que ce qui en fait le caractere distinctif, est l’expression d’un mieux possible, d’un beau idéal, en-deçà duquel reste toujours la plus belle nature.

Ce principe lumineux peut s’étendre à tous les arts, sur-tout à la poésie, à la musique, à l’architecture, &c. mais en même tems il faut bien se mettre dans l’esprit, que le beau physique est le fondement, la base & la source du beau intellectuel, & que ce n’est que d’après la belle nature que nous voyons, que nous pouvons créer, comme les Grecs, une seconde nature, plus belle sans doute, mais analogue à la premiere ; en un mot, le beau idéal ne doit être que le beau réel perfectionné.

Rome devint disciple d’Athenes. Elle admira les merveilles de la Grece : elle tâcha de les imiter : bientôt elle se fit autant estimer par ses ouvrages de goût, qu’elle s’étoit fait craindre par ses armes. Tous les peuples lui applaudirent ; & cette approbation prouva que les Grecs qui avoient été imités par les Romains, étoient en effet les plus excellens modeles.

On sait les révolutions qui suivirent. L’Europe fut inondée de barbares ; & par une conséquence

nécessaire, les sciences & les arts furent enveloppés dans le malheur des tems, jusqu’à ce qu’exilés de Constantinople, ils vinrent encore se réfugier en Italie. On y réveilla les manes d’Horace, de Virgile & de Ciceron : on alla fouiller jusque dans les tombeaux qui avoient servi à la sculpture & à la peinture. On vit reparoître l’antiquité avec les graces de la jeunesse. Les artistes s’empresserent à l’imiter ; l’admiration publique multiplia les talens ; l’émulation les anima, & les beaux arts reparurent avec splendeur. Ils vont se corrompre & se perdre. On charge déjà la belle nature, on l’ajuste, on la farde ; on la pare de colifichets, qui la font méconnoître. Ces rafinemens opposés à la grossiereté, font plus difficiles à détruire que la grossiereté même. C’est par eux que le goût s’émousse, & que commence la décadence. (Le Chevalier de Jaucourt.)

NATUREL, adj. (Philos.) se dit de quelque chose qui se rapporte à la nature, qui vient d’un principe de la nature, ou qui est conforme au cours ordinaire & à l’ordre de la nature. Voyez Nature.

Quand une pierre tombe de haut en bas, le vulgaire croit que cela lui arrive par un mouvement naturel, en quoi le vulgaire est dans l’erreur. Voyez l’article Force, p. 112. du VII. vol. j. col.

Les guérisons faites par les Médecins, sont des opérations naturelles ; mais celles de Jésus-Christ étoient miraculeuses & surnaturelles. Voyez Miracle, voyez aussi l’article Naturel qui suit.

Enfans naturels, sont ceux qui ne sont point nés d’un légitime mariage. Voyez Bastard.

Horison naturel, se dit de l’horison physique & sensible. Voyez Horison.

Jour naturel, voyez Jour.

Philosophie naturelle, c’est la science qui considere les propriétés des corps naturels, l’action mutuelle des uns sur les autres ; on l’appelle autrement Physique. Voyez Physique & Nature

L’illustre M. Newton nous a donné un ouvrage intitulé : Principes mathématiques de la philosophie naturelle, où ce grand géometre détermine par des principes mathématiques, les lois des forces centrales, de l’attraction des corps, de la résistance des fluides, du mouvement des planetes dans leurs orbites, &c. Voyez Central, Planete, Résistance, &c. voyez aussi Newtonianisme, Attraction, Gravitation, &c. Chambers. (O)

Naturel, (Métaph.) nous avons à considerer ici ce mot sous deux regards. 1°. En-tant que les choses existent, & qu’elles agissent conformément aux lois ordinaires que Dieu a établies pour elles ; & par-là ce que nous appellons naturel, est opposé au surnaturel ou miraculeux. 2°. En-tant qu’elles existent ou qu’elles agissent, sans qu’il survienne aucun exercice de l’industrie humaine ou de l’attention de notre esprit, par rapport à une fin particuliere : dans ce sens, ce que nous appellons naturel, est opposé à ce que nous appellons artificiel, qui n’est autre chose que l’industrie humaine.

Il paroît difficile quelquefois de démêler le naturel en-tant qu’opposé au surnaturel ; dans ce dernier sens, le naturel suppose des lois générales & ordinaires : mais sommes-nous capables de les connoître sûrement ? On distingue assez un effet qui n’est point surnaturel ou miraculeux ; on ne distingue pas si déterminement ce qui l’est. Tout ce que nous voyons arriver régulierement ou fréquemment, est naturel ; mais tout ce qui arrive d’extraordinaire dans le monde est-il miraculeux ? C’est ce qu’on ne peut assurer. Un événement très-rare pourroit venir du principe ordinaire, qui dans la suite des révolutions & des changemens auroit formé une sorte de prodige, sans quitter la regle de son cours, & l’étendue de sa sphere. Ainsi voit-on quelquefois des monstres du carac-