Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/515

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si ce respect outré pour l’antiquité a une si mauvaise influence, combien devient-il encore plus contagieux pour les commentateurs des anciens ? Quelles beautés, dit l’auteur ingénieux que nous venons de citer, ne se tiendroient heureuses d’inspirer à leurs amans une passion aussi vive & aussi tendre, que celle qu’un grec ou un latin inspire à son respectueux interprete ? Si l’on commente Aristote, c’est le génie de la nature : si l’on écrit sur Platon, c’est le divin Platon. On ne commente guere les ouvrages des hommes tout court ; ce sont toujours les ouvrages d’hommes tout divins, d’hommes qui ont été l’admiration de leur siecle. Il en est de même de la matiere qu’on traite, c’est toujours la plus belle, la plus relevée, celle qu’il est le plus nécessaire de savoir. Mais depuis qu’il y a eu des Descartes, des Newtons, des Léibnitzs, & des Wolfs, depuis qu’on a allié les Mathématiques à la Philosophie, la maniere de raisonner s’est extrèmement perfectionnée.

7°. L’esprit systématique ne nuit pas moins au progrès de la vérité : par esprit systématique, je n’entends pas celui qui lie les vérités entre elles, pour former des démonstrations, ce qui n’est autre chose que le véritable esprit philosophique, mais je désigne celui qui bâtit des plans, & forme des systèmes de l’univers, auxquels il veut ensuite ajuster, de gré ou de force, les phénomènes ; on trouvera quantité de bonnes réflexions là-dessus dans le second tome de l’histoire du ciel, par M. l’abbé Pluche. Il les a pourtant un peu trop poussées, & il lui seroit difficile de repondre à certains critiques. Ce qu’il y a de certain, c’est que rien n’est plus louable que le parti qu’a pris l’académie des Sciences, de voir, d’observer, de coucher dans ses registres les observations & les expériences, & de laisser à la postérité le soin de faire un système complet, lorsqu’il y aura assez de matériaux pour cela ; mais ce tems est encore bien éloigné, si tant est qu’il arrive jamais.

Ce qui rend donc l’esprit systématique si contraire au progrès de la vérité, c’est qu’il n’est plus possible de détromper ceux qui ont imaginé un système qui a quelque vraissemblance. Ils conservent & retiennent très-chérement toutes les choses qui peuvent servir en quelque maniere à le confirmer ; & au contraire ils n’appercevoient pas presque toutes les objections qui lui sont opposées, ou bien ils s’en défont par quelque distinction frivole. Ils se plaisent intérieurement dans la vûe de leur ouvrage & de l’estime qu’ils esperent en recevoir. Ils ne s’appliquent qu’à considérer l’image de la vérité que portent leurs opinions vraissemblables. Ils arrêtent cette image fixe devant leurs yeux, mais ils ne regardent jamais d’une vûe arrêtez les autres faces de leurs sentimens, lesquelles leur en découvriroient la fausseté.

Ajoutez à cela les préjugés & les passions. Les préjugés occupent une partie de l’esprit & en infectent tout le reste. Les passions confondent les idées en mille manieres, & nous sont presque toujours voir dans les objets tout ce que nous desirons d’y trouver : la passion même que nous avons pour la vérité nous trompe quelquefois, lorsqu’elle est trop ardente. Mallebranche.

Philosophie, s. f. septieme corps des caracteres d’Imprimerie ; sa proportion est d’une ligne 5 points, mesure de l’échelle ; son corps double est le gros parangon. V. Proportion des caracteres d’Imprimerie.

La philosophie est un entre corps ; on emploie ordinairement pour le faire, l’œil de cicero sur ledit corps de philosophie qui est de peu de chose plus foible, Voyez Mignonne & l’exemple à l’article Caracteres.

PHILOSOPHIQUE, esprit, (Morale.) l’esprit philosophique est un don de la nature perfectionné par le travail, par l’art, & par l’habitude, pour ju-

ger sainement de toutes choses. Quand on possede cet esprit supérieurement, il produit une intelligence merveilleuse, la force du raisonnement, un goût sûr & réfléchi de ce qu’il y a de bon ou de mauvais dans le monde ; c’est la regle du vrai & du beau. Il n’y a rien d’estimable dans les différens ouvrages, qui sortent de la main des hommes, que ce qui est animé de cet esprit. De lui dépend en particulier la gloire des belles-lettres ; cependant comme il est le partage de bien peu de savans, il n’est ni possible, ni nécessaire pour le succès des lettres, qu’un talent si rare se trouve dans tous ceux qui les cultivent. Il suffit à une nation que certains grands génies le possedent éminemment, & que la supériorité de leurs lumieres les rendent les arbitres du goût, les oracles de la critique, les dispensateurs de la gloire littéraire. L’esprit philosophique résidant avec éclat dans ce petit nombre de gens, il répandra pour ainsi dire, ses influences sur tout le corps de l’état, sur tous les ouvrages de l’esprit ou de la main, & principalement sur ceux de littérature. Qu’on bannisse les Arts & les Sciences, on bannira cet esprit philosophique qui les produit ; dès-lors on ne verra plus personne capable d’enfanter l’excellence ; & les lettres avilies languiront dans l’obscurité. (D. J.)

PHILOTE, s. f. (Mythol.) l’une des filles de la Nuit, selon Hésiode dans sa Théogonie, 224. Ce poëte a entendu par philote, l’abus du penchant que les deux sexes ont l’un pour l’autre. Hygin a rendu ce mot par celui d’incontinence.

PHILOTÉSIE, s. f. (Littérat.) c’est ainsi que s’appelloit chez les Grecs, la cérémonie de boire à la santé les uns des autres ; elle se pratiquoit de cette maniere. Dès que le roi du festin, ou celui qui donnoit un grand repas avoit versé du vin dans sa coupe, il en répandoit d’abord en l’honneur des dieux ; ensuite après l’avoir porté à ses levres, il présentoit la coupe à son voisin ou à la personne à qui il vouloit faire honneur, en lui souhaitant toutes sortes de prospérités ; celui-ci en buvoit, la présentoit ensuite à un autre, & ainsi la coupe alloit de main en main, jusqu’à ce que tous les conviés en eussent bu. Les philotésies se pratiquoient encore à l’arrivée de quelque hôte, mais il n’étoit permis qu’aux étrangers de boire à la santé de la femme du roi du festin. A l’égard des autres regles de cette cérémonie de table, on peut consulter la lettre du P. Fronteau à M. de Bellievre. Le mot φιλοτησία, veut dire amitié. (D. J.)

PHILOTI, (Hist. littéraire.) société établie à Vérone en Italie, pour les progrès des exercices convenables à la noblesse, comme le manege, les armes, la danse, &c. elle est gouvernée par des présidens.

PHILTRE, s. m. (Hist. anc. & Divinat.) breuvage ou autre drogue pour donner de l’amour ; ce mot est grec, φίλτρον, & vient du verbe φιλεῖν, aimer.

On distingue les philtres en faux & en véritables ; & l’on tient pour faux ceux que donnent quelquefois les vieilles femmes ou les femmes débauchées ; ceux-là sont ridicules, magiques & contre nature, plus capables d’inspirer de la folie que de l’amour à ceux qui s’en servent : les symptômes en sont même dangereux.

Tous les démonographes conviennent qu’on emploie de ces sortes de philtres, & les mettent au nombre des maléfices. Il est certain que les anciens les connoissoient, & que dans la confection de ces poisons ils invoquoient les divinités infernales. Il entroit dans leur composition diverses herbes ou matieres, telles que le poisson appellé remore, certains os de grenouilles, la pierre astroïtès, & sur-tout l’hippomanès. Voyez Hippomanès. Delrio ajoûte qu’on s’y est aussi servi de sperme ou semence humaine, de sang menstruel, de rognures d’ongles, des métaux, des reptiles, des intestins de poissons & d’oiseaux,