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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/886

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la clarté, parce que plus les signes sont clairs, plus nous avons conscience des idées qu’ils signifient, & moins par conséquent elles nous échappent : de la précision, afin que l’attention moins partagée, se fixe avec moins d’effort : de l’ordre, afin qu’une premiere idée plus connue, plus familiere, prépare notre attention pour celle qui doit suivre.

La réflexion qui nous donne le pouvoir de distinguer nos idées, nous donne encore celui de les comparer, pour en connoître les rapports. Cela se fait en portant alternativement notre attention des unes aux autres, ou en la fixant en même tems sur plusieurs. Quand des notions peu composées font une impression assez sensible pour attirer notre attention sans effort de notre part, la comparaison n’est pas difficile : mais les difficultés augmentent, à mesure que les idées se composent davantage, & qu’elles font une impression plus legere. Les comparaisons sont, par exemple, communément plus aisées en Géométrie qu’en Métaphysique. Avec le secours de cette opération, nous rapprocherons les idées les moins familieres de celles qui le sont davantage ; & les rapports que nous y trouvons, établissent entre elles des liaisons très-propres à augmenter & à fortifier la mémoire, l’imagination, & par contre-coup la réflexion.

Quelquefois, après avoir distingué plusieurs idées, nous les considérons comme ne faisant qu’une seule notion : d’autres fois nous retranchons d’une notion quelques-unes des idées qui la composent ; c’est ce qu’on nomme composer & décomposer ses idées. Par le moyen de ces opérations, nous pouvons les comparer sous toutes sortes de rapports, & en faire tous les jours de nouvelles combinaisons. Pour bien conduire la premiere, il faut remarquer quelles sont les idées les plus simples de nos notions ; comment & dans quel ordre elles se réunissent à celles qui surviennent. Par-là on sera en état de regler également la seconde ; car on n’aura qu’à défaire ce qui aura été fait ; cela fait voir comment elles viennent l’une & l’autre de la réflexion.

La réflexion n’a point lieu dans les enfans nouveau-nés ; & même les personnes en âge de raison ne réfléchissent pas, à beaucoup près, sur tout ce qu’elles voyent & sur tout ce qu’elles font. On voit des personnes, qui emportées par la vivacité de leur tempérament, & n’ayant pas été accoutumées à la réflexion, parlent, jugent, agissent, conformément à l’impression actuelle qu’elles éprouvent, & ne se donnent jamais la peine de peser le pour & le contre des partis qu’on leur propose. On peut passer ainsi sa vie dans la société ; mais les sciences, c’est-à-dire, les véritables sciences, les théories, ne s’acquierent qu’à l’aide de l’attention & de la réflexion ; & quiconque néglige ces secours, ne fera jamais de progrès dans les connoissances spéculatives. Voyez l’essai sur l’origine des connoissances humaines.

Réflexion, s. f. en terme de Méchanique, c’est le retour ou mouvement retrograde d’un mobile occasionné par la résistance d’un corps qui l’empêche de suivre sa premiere direction. Voyez Mouvement, Résistance, &c. On a mis en question, s’il y a quelques momens de repos ou intervalle entre l’incidence & la réflexion : les Péripatéticiens & tous ceux qui conçoivent le mouvement réfléchi comme différent de l’incident sur le même corps, tiennent pour l’affirmative. Le mouvement d’incidence, suivant ces auteurs, est entierement perdu & détruit par la résistance de l’obstacle qu’il rencontre, & le mobile demeure par-là parfaitement en repos au point de contact jusqu’à ce qu’une cause contraire l’oblige à se réfléchir de nouveau.

Les Cartésiens soutiennent la négative, & nient qu’il y ait aucun repos entre l’incidence & la réflexion,

ils alleguent pour preuve de ce qu’ils avancent, que si le mouvement venoit à cesser un seul moment, il n’y auroit qu’une nouvelle cause étrangere qui pût le faire renaître, & que le corps demeureroit dans ce nouvel état aussi long-tems que s’il étoit en repos depuis un tems considérable. Voyez Repos & Lois de la nature.

En conséquence Rohaut & d’autres définissent la réflexion, le détour ou le changement de détermination qui arrive à un corps qui se meut à la rencontre d’un autre qu’il ne peut pénétrer.

De même, disent-ils, qu’un pendule après être parvenu à la plus grande hauteur où il peut atteindre ne s’arrête point ; de même deux corps durs qui se rencontrent directement ne s’arrêtent point, mais continuent leur mouvement dans un sens contraire, suivant la loi que la nature a établie, & cela par l’influence ou impulsion immédiate de la cause qui les a d’abord mis en mouvement. Mais cette doctrine est aujourd’hui presque universellement rejettée.

En effet, il n’y a aucune raison qui oblige un corps parfaitement dur, comme les Cartésiens le supposent, de se réfléchir lorsqu’il rencontre un plan inébranlable. Lorsque ce corps dur vient choquer le plan, il perd tout le mouvement qu’il avoit dans cette direction ; & pour qu’il reçoive du mouvement dans une autre direction, il faut de deux choses l’une, ou qu’il reçoive le mouvement de quelque cause, ou que ce mouvement se trouve déja implicitement, pour ainsi dire, dans le mouvement qu’il avoit déja, à-peu-près comme le mouvement d’un corps par un des côtés d’un parallelogramme se trouve implicitement dans son mouvement par la diagonale, ensorte que si on oppose à ce corps mû, suivant la diagonale, une puissance qui arrête son mouvement dans la direction d’un des côtés, le corps prendra de lui-même la direction & la vîtesse qu’il doit avoir, suivant l’autre côté du parallelogramme. Voyez Composition de mouvement & Dynamique.

Or on ne peut supposer ici aucune de ces deux choses. 1o Le plan ou corps choqué qui par la supposition est inébranlable, & n’a qu’une force de résistance purement passive, ne peut donner au corps aucun mouvement, il ne peut qu’arrêter celui que ce corps avoit. 2o On ne peut pas dire non plus que le mouvement du corps en arriere existât implicitement dans le mouvement primitif : car soit b le mouvement primitif du corps, a le mouvement qu’on lui suppose en arriere, il faudroit dans cette supposition regarder la vîtesse b comme composée du mouvement a que le corps garde après le choc, & d’un autre mouvement qui est détruit. Or ce mouvement détruit ne pourroit être que a + b, car la vîtesse b est composée de la vîtesse a en arriere, & de la vîtesse a + b en avant. Donc la vîtesse a + b doit être détruite par la rencontre du plan, & à plus forte raison la vîtesse a ; donc le corps choquant doit rester en repos.

La raison qui a porté les Cartésiens à établir cette loi de réflexion ; c’est que, selon eux, il ne doit point y avoir de mouvement perdu dans la nature, & que par conséquent un corps ne doit point perdre son mouvement sans le communiquer à un autre : & comme on suppose ici que le corps choquant ne peut pas communiquer son mouvement, ils en concluent qu’il doit se réfléchir avec ce mouvement. Mais outre qu’il est ici question de corps parfaitement durs, qui n’existent point dans la nature, nous observons souvent dans le choc des corps que la même quantité de mouvement ne s’y conserve pas. Voyez Percussion.

Les auteurs modernes les plus célebres conçoivent la réflexion comme un mouvement propre aux corps élastiques, par lequel, après en avoir frappé d’autres