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rapports de dépendance soumis aux regles pour la construction de la phrase. « Ce n’est autre chose, dit-il, que le concours des mots pour les expressions d’un sens ou d’une pensée. Dans ce concours de mots il y en a qui tiennent le haut bout ; ils en régissent d’autres, c’est-à-dire qu’ils les assujettissent à certaines lois : il y en a qui se présentent d’un air soumis ; ils sont régis ou tenus de se conformer à l’état & aux lois des autres ; & il y en a qui sans être assujettis ni assujettir d’autres, n’ont de lois à observer que celle de la place dans l’arrangement général. Ce qui fait que quoique tous les mots de la phrase soient en régime, concourant tous à l’expression du sens, ils ne le sont pas néanmoins de la même maniere, les uns étant en régime dominant, les autres en régime assujetti, & des troisiemes en régime libre, selon la fonction qu’ils y font ».

Une premiere erreur de ce grammairien, consiste en ce qu’il rapporte le régime à la construction de la phrase ; au-lieu qu’il est évident, par ce qui précede, qu’il est du district de la syntaxe, & qu’il demeure constamment le même malgré tous les changemens de construction. D’ailleurs le régime consiste dans la détermination des formes des complémens grammaticaux considérés comme termes de certains rapports, & il ne consiste pas dans les rapports mêmes, comme le prétend M. l’abbé Girard.

Une seconde erreur, c’est que cet académicien, d’ailleurs habile & profond, ébloui par l’afféterie même de son style, est tombé dans une contradiction évidente ; car comment peut-il se faire que le régime consiste, comme il le dit, dans des rapports de dépendance, & qu’il y ait cependant des mots qui soient en régime libre ? Dépendance & liberté sont des attributs incompatibles, & cette contradiction, ne fût-elle que dans les termes & non entre les idées, c’est assurément un vice impardonnable dans le style didactique, où la netteté & la clarté doivent être portées jusqu’au scrupule.

J’ajoute que l’idée d’un régime libre, à prendre la chose dans le sens même de l’auteur, est une idée absolument fausse, parce que rien n’est indépendant dans une phrase, à moins qu’il n’y ait périssologie, voyez Pléonasme. Vérifions ceci sur la période même dont M. Girard se sert pour faire reconnoître toutes les parties de la phrase : Monsieur, quoique le mérite ait ordinairement un avantage solide sur la fortune ; cependant, chose étrange ! nous donnons toujours la préférence à celle-ci.

Cette période est composée de deux phrases, dit l’auteur, dans chacune desquelles se trouvent les sept membres qu’il distingue. Je ne m’attacherai ici qu’à celui qu’il appelle adjonctif ; & qu’il prétend être en régime libre ; c’est monsieur dans la premiere partie de la période, & chose étrange dans le second. Toute proposition a deux parties, le sujet & l’attribut (voyez Proposition) & j’avoue que monsieur n’appartient ni au sujet ni à l’attribut de la premiere proposition, quoique le mérite ait ordinairement un avantage solide sur la fortune ; par conséquent ce mot est libre de toute dépendance à cet égard ; mais de-là même il n’est ni ne peut être en régime dans cette proposition. Cependant si l’on avoit à exprimer la même pensée en une langue transpositive ; par exemple, en latin, il ne seroit pas libre de traduire monsieur par tel cas que l’on voudroit de dominus ; il faudroit indispensablement employer le vocatif domine, qui est proprement le nominatif de la seconde personne, (voyez Vocatif) ; ce qui prouve, ce me semble, que domine seroit envisagé comme sujet d’un verbe à la seconde personne, par exemple audi ou esto attentus, parce que dans les langues, comme par-tout ailleurs, rien ne se fait sans cause : il doit donc en

être de même en françois, où il faut entendre monsieur écoutez ou soyez attentif ; parce que l’analyse, qui est le lien unique de la communication de toutes les langues, est la même dans tous les idiomes, & y opere les mêmes effets : ainsi monsieur est en françois dans une dépendance réelle, mais c’est à l’égard d’un verbe sous-entendu dont il est le sujet.

Chose étrange, dans la seconde proposition, est aussi en dépendance, non par rapport à la proposition énoncée nous donnons toujours la préférence à celle-ci, mais par rapport à une autre dont le reste est supprimé ; en voici la preuve. En traduisant cette période en latin, il ne nous sera pas libre de rendre à notre gré les deux mots chose étrange ; nous ne pourrons opter qu’entre le nominatif & l’accusatif ; & ce reste de liberté ne vient pas de ce que ces mots sont en régime libre ou dans l’indépendance, car les six cas alors devroient être également indifférens ; cela vient de ce qu’on peut envisager la dépendance nécessaire de ces deux mots sous l’un ou sous l’autre des deux aspects désignés par les deux cas. Si l’on dit res miranda au nominatif, c’est que l’on suppose dans la plénitude analytique, hæc res est miranda : si l’on préfere l’accusatif rem mirandam, c’est que l’on envisage la proposition pleine dico rem mirandam, ou même en rappellant le second adjonctif au premier, domine audi rem mirandam. L’application est aisée à faire à la phrase françoise, le détail en seroit ici superflu ; je viens à la conclusion. L’abbé Girard n’avoit pas assez approfondi l’analyse grammaticale ou logique du langage, & sans autre examen il avoit jugé indépendant ce dont il ne retrouvoit pas le corelatif dans les parties exprimées de la phrase. D’autre part, ces mots mêmes indépendans, il vouloit qu’ils fussent en régime, parce qu’il avoit faussement attaché à ce mot une idée de relation à la construction, quoiqu’il n’ignorât pas sans doute qu’en latin & en grec le régime est relatif à la syntaxe ; mais il avoit proscrit de notre grammaire la doctrine ridicule des cas : il ne pouvoit donc plus admettre le régime dans le même sens que le faisoient avant lui la foule des grammatistes ; & malgré ses déclarations réitérées de ne consulter que l’usage de notre langue, & de parler le langage propre de notre grammaire, sans égard pour la grammaire latine, trop servilement copiée jusqu’à lui, il n’avoit pu abandonner entierement le mot de régime : inde mali labes.

Je n’entrerai pas ici dans le détail énorme des méprises où sont tombés les rudimentaires & les méthodistes sur les prétendus régimes de quelques noms, de plusieurs adjectifs, de quantité de verbes, &c. Ce détail ne sauroit convenir à l’Encyclopédie ; mais on trouvera pourtant sur cela même quantité de bonnes observations dans plusieurs articles de cet ouvrage. Voyez Accusatif, Datif, Génitif, Ablatif, Construction, Inversion, Méthode, Proposition, Préposition, &c.

Chaque cas a une destination marquée & unique, si ce n’est peut-être l’accusatif, qui est destiné à être le régime objectif d’un verbe ou d’une préposition : toute la doctrine du régime latin se réduit là ; si les mots énoncés ne suffisent pas pour rendre raison des cas d’après ces vues générales, l’ellipse doit fournir ceux qui manquent. Penitet me peccati, il faut suppléer memoria qui est le sujet de peniter, & le mot completé par peccati, qui en est régi. Doceo pueros grammaticam, il faut suppléer circà avant grammaticam, parce que cet accusatif ne peut être que le régime d’une préposition, puisque le régime objectif de doceo est l’accusatif pueros. Ferire ense, l’ablatif ense n’est point le régime du verbe ferire, il l’est de la préposition sousentendue cum. Dans labrorum tenùs, le génitif labrorum n’est point régime de tenùs qui gouverne l’ablatif ; il l’est du nom sous-entendu regione. Il en est de