Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/694

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La statue de Saturne qui étoit liée de bandelettes de laine pendant toute l’année, apparemment en mémoire de la captivité où il avoit été réduit par les Titans & par Jupiter, en étoit dégagée pendant sa fête, soit pour marquer sa délivrance, soit pour représenter la liberté qui régnoit pendant le siecle d’or, & celle dont on jouissoit pendant les saturnales. En effet, toute apparence de servitude en étoit bannie ; les esclaves portoient le chapeau, marque de liberté ; se vêtissoient des mêmes habits que les citoyens, & se choisissoient un roi de la fête.

Je sai que l’opinion commune est, que dans les saturnales, les valets changoient, non-seulement d’état & d’habits avec leurs maîtres, mais même qu’ils en étoient servis à table. Je ne suis point de ce sentiment, & l’autorité de Lucien ne m’embarrasse guere. Comme cet auteur a coutume de broder tous ses tableaux, on juge bien qu’il ne faut pas prendre à la lettre sa peinture des saturnales. Quant au témoignage d’Athénée, je puis lui opposer ceux de Séneque, épit. LXVII ; de Tasse, in sylv. kal. Dec. & de Plutarque, dans sa vie de Numa. Tous se contentent de dire, que durant cette fête les valets mangeoient avec leurs maîtres, & des mêmes mets : or ce n’étoit encore là qu’un usage bourgeois, qui ne s’étendoit point dans les maisons des gens d’un certain ordre. Mais en général, cette fête admettoit chez les Romains un renversement d’état, qui selon moi étoit trop mal masqué pour instruire le maître ni l’esclave. Il n’y a que la douce égalité, dit très-bien M. Rousseau, qui puisse rétablir l’ordre de la nature, former une instruction pour les uns, une consolation pour les autres, & un lien d’amitié pour tous.

Ce que je n’ose décider, c’est si la fête des saturnales étoit purement romaine, ou si elle tiroit son origine des autres peuples. Quoi qu’en dise Denys d’Halicarnasse, je sai que les Athéniens avoient une fête fort ressemblante à celle des saturnales, & qu’ils nommoient Κρόνια ; il me semble que les salzea établies à Babylone, étoient dans le même goût. Enfin, on célébroit en Thessalie une fête fort ancienne, & qui avoit trop de rapport avec les saturnales, pour en passer sous silence l’origine & la description.

Les Pélasges, nouveaux habitans de l’Hémonie, faisant un sacrifice solemnel à Jupiter, un étranger, nommé Pelorus, leur annonça qu’un tremblement de terre venoit de faire entr’ouvrir les montagnes voisines ; que les eaux d’un marais nommé Tempé, s’étoient écoulées dans le fleuve Pénée, & avoient découvert une grande & belle plaine. Au récit d’une si agréable nouvelle, ils invitent l’étranger à manger avec eux, s’empressent à le servir, & permettent à leurs esclaves de prendre part à la réjouissance. Cette plaine, dont ils se mirent aussitôt en possession, étant devenue la délicieuse vallée de Tempé, ils continuerent tous les ans le même sacrifice à Jupiter surnommé pélorien, en renouvellant la cérémonie de donner à manger à des étrangers & à leurs esclaves, auxquels ils accordoient toute sorte de liberté. Dans la suite, les Pélasges ayant été chassés de l’Hémonie, vinrent s’établir en Italie par ordre de l’oracle de Dodone qui leur commanda de faire des sacrifices à Saturne & à Pluton. Les termes ambigus de l’oracle les engagerent d’immoler des victimes humaines à ces deux sombres divinités ; ils suivirent l’usage reçu parmi les Carthaginois, les Tyriens & d’autres nations qui pratiquoient de tels sacrifices.

On dit qu’Hercule abolit cette coutume barbare des Pélasges. Passant par l’Italie à son retour d’Espagne, il demanda la raison de ces sacrifices dont il étoit indigné ; & comme on lui cita l’oracle de Dodone, il leur dit que le mot κεφαλὰς désignoit des têtes en figures ; & que celui de φυτὰ, qu’ils avoient pris pour des hommes, signifioit des lumieres : il leur

apprit donc qu’il falloit offrir à Pluton des représentations d’hommes, & des cierges à Saturne. Voilà du-moins l’origine qu’on apporte de la coutume qui s’observoit pendant les saturnales, d’allumer des cierges, & d’en faire des présens.

Ce qu’il y avoit encore de singulier dans les sacrifices de Saturne, c’est qu’ils se faisoient la tête découverte. Plutarque en donne pour raison, que le culte qu’on rendoit à ce dieu, étoit plus ancien que l’usage de se couvrir la tête en sacrifiant, qu’il attribue à Énée. Mais ce qui paroît plus vraissemblable, c’est qu’on ne se couvroit la tête que pour les dieux célestes ; & que Saturne étoit mis au nombre des dieux infernaux.

Tertullien, dans son traité de Idol. cap. xjv, se plaint, qu’entr’autres fêtes payennes, les Chrétiens solemnisoient les saturnales ; & cette coutume leur fut effectivement défendue par le canon xxxix. du concile de Laodicée. Cependant ils eurent tant de peine à perdre leur habitude de célébrer les fêtes de plaisirs & de réjouissances, qu’il s’aviserent d’en substituer de nouvelles à celles qui étoient abolies : & c’est peut-être là l’origine de la fête des fous, dont on peut consulter l’article. (Le chevalier de Jaucourt.)

SATURNE, s. m. en Astronomie, est le nom d’une des sept planetes premieres ; c’est celle qui est la plus éloignée de la terre & du soleil, & qui se meut le plus lentement. On la marque ainsi ♄. Voyez Planete.

Saturne n’a qu’une foible lumiere, à cause de sa distance ; c’est ce qui fait que cette planete paroît assez petite, quoiqu’elle soit une des plus grosses.

La période de Saturne, ou le tems de sa révolution autour du soleil, est, selon Kepler, de 29 ans, 174 jours, 4 heures 58′. 25″. & 30‴. par conséquent son mouvement journalier est de 3′. 0″. 36‴. Cependant M. de la Hire fait ce dernier mouvement de 2′. 1″.

L’inclinaison de l’orbite de Saturne à l’écliptique, est, selon Kepler, de 2°. 32′. & selon M. de la Hire, de 2°. 33′.

Sa moyenne distance du soleil est de 326925 demi-diametre de la terre ; & sa distance moyenne de la terre est de 21000 demi-diametres terrestres. Voyez Distance. Son plus petit diametre, selon M. Huyghens, est de 30″. Son diametre est à celui de la terre comme 20 à 10 ; sa surface est à celle de la terre comme 400 à 1 ; & sa solidité est à celle de la terre comme 8000 à 1.

M. Halley remarque, dans la préface de son catalogue des étoiles australes, qu’il a trouvé le mouvement de Saturne plus lent que celui qui est marqué dans les tables.

On doute si Saturne tourne autour de son axe comme les autres planetes, ou non : aucune observation astronomique ne prouve qu’il tourne ; il y a même une circonstance qui, selon plusieurs auteurs, paroîtroit prouver le contraire ; car la terre & toutes les autres planetes qui tournent sur elles-mêmes, ont le diametre de l’équateur plus grand que l’axe, & l’on n’observe rien de pareil dans Saturne ; mais cette preuve est bien foible.

La distance de Saturne au Soleil étant dix fois plus grande que celle de la terre au Soleil, il s’ensuit que le diametre apparent du Soleil vu de Saturne, ne doit être que de 3 minutes, ce qui fait un peu plus de deux fois le diamettre apparent de Vénus, vû de la terre. Le disque du soleil doit donc paroître aux habitans de Saturne 100 fois plus petit qu’il ne nous paroît ; & la lumiere, aussi bien que la chaleur de cet astre, doit être moindre en même proportion. Voyez Soleil.

Les phases de Saturne sont fort variées & fort singulieres : elle en a comme Mars & Jupiter, & des