Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tia qua furtim mentem prudentium subripit. Là se trouvoient tous les charmes, les attraits les plus séduisans, l’amour diversifié sous mille formes enchanteresses, les desirs renaissans sans cesse, les amusemens délicats & voluptueux, les entretiens secrets, les innocentes ruses, & cet heureux badinage qui gagne l’esprit & le cœur des personnes mêmes les plus raisonnables. En un mot le ceste de Vénus avoit tant de vertu pour inspirer la tendresse, que Junon fut obligée de l’emprunter le jour qu’elle voulut gagner les faveurs du maître du monde, en se trouvant avec lui sur le mont Ida.

Il ne faut pas s’étonner qu’à cette peinture qu’on nous fait de Vénus, les dieux ne fussent quelquefois éblouis de sa beauté suprème, comme le sont les yeux des foibles mortels, quand Phébus, après une longue nuit, vient les éclairer par ses rayons. Jupiter lui-même ne pouvoit voir les beaux yeux de cette déesse mouillés de larmes, sans en être extrèmement ému. Enfin elle tenoit sous son empire presque tous les héros du monde, & la plûpart des immortels.

La rose, le myrthe appartiennent à la déesse de Paphos. Les cygnes, les colombes & les moineaux sont tes oiseaux favoris ; les uns ou les autres ont l’honneur de tirer son char ; & souvent on les voit sur sa main.

Voila l’idée que les poëtes, les peintres, & les sculpteurs, nous donnent de la mere de l’amour ; les monumens nous font voir cette divinité sortant du sein de la mer, tantôt soutenue sur une belle coquille par deux tritons, & tenant ses grands cheveux ; tantôt montée sur un dauphin & escortée des Néréides. Selon cette opinion, elle étoit surnommée Epipontia, Anadiomene, Aphrodite, Tritonia, &c.

Platon distingue deux Vénus, la céleste, & la mere de Cupidon. Cicéron en admet quatre principales : la premiere, dit-il, est fille du Ciel & du Jour, de laquelle nous avons vu un temple en Elide ; la seconde est née de l’écume de la Mer ; la troisieme, fille de Jupiter & de Dioné, eût Vulcain pour mari ; la quatrieme, née de Syria & de Tyrus, s’appelle Astarté, elle épousa Adonis.

Pausanias dit qu’il y avoit chez les Thébains trois statues de Vènus, faites du bois des navires de Cadmus ; la premiere étoit Vénus céleste, qui marquoit un amour pur ; la seconde étoit de Vénus la populaire, qui marquoit un amour déréglé ; & la troisieme de Venus préservatrice, qui détournoit les cœurs de la sensualité.

Mais de toutes ces Vénus dont les mythologistes font mention, c’est la Vènus Anadiomène, qui s’est attirée presque tous les hommages des Grecs & des Romains. C’est elle dont l’histoire a été chargée de la plûpart des galanteries éclatantes, comme de celles de Mars. Cependant, si nous en croyons plusieurs modernes, il n’a jamais existé d’autre Vénus qu’Astarté, femme d’Adonis, dont le culte fut mêlé avec celui de la planete de ce nom. Ce culte passa de Phénicie dans les îles de la Grece, & sur-tout dans celle de Cythère, aujourd’hui Cérigo, où elle eut le premier temple. Les Phéniciens l’avoient érigé en son honneur, lorsqu’ils donnerent à cette île de l’Archipel le nom de Cythère, c’est-à-dire des rochers, parce que cette île en est environnée.

Les autres lieux spécialement consacrés à Vènus, étoient Gnide, Idalie, aujourd’hui Dalion, Amathonte nommée de nos jours Limisso, & la ville de Paphos dans l’île de Chypre, qu’on appelle à présent Basta. Dans tous ces endroits les temples de Vénus ouverts à la licence de l’amour, apprirent à ne pas respecter la pudeur. Oh Vénus, dit un payen, j’ai brûlé comme d’autres, de l’encens sur vos autels ; mais maintenant revenu à moi-même, je déteste cette infâme mollesse avec laquelle les habitans de vos

îles, célebrent vos mysteres & vos fêtes. Voyez Vénus fête de, (Littérat.)

Je n’oublierai pas de parler de ses temples ; les poëtes ont enrichi leurs ouvrages des noms de cette déesse ; ils l’appellent Aphrodite, Amathusia, Callipyga, Aurea, Cypris, Cythérée, Dionée, Cnidienne, Myrtea, Paphienne, &c. Elle est surnommée Ridens, Philoméides, Gelarisa, autant d’épithetes de son goût pour les ris & les jeux.

Enée apporta de Sicile en Italie une statue de Vénus Erycine. On lui fit bâtir depuis un temple à Rome avec de magnifiques portiques, hors de la porte colline ; ce nom fut donné à la déesse, parce qu’elle étoit révérée sur le mont Erix en Sicile, qui est aujourd’hui monte san Juliano, dans le val de Mazara, proche de Trepano, ou plutôt la déesse & la montagne prirent ce nom d’un roi Erix, fils de Vénus & de Buté.

Praxitèle fit deux statues de Vénus, l’une vêtue, que ceux de Cos acheterent ; & l’autre nue, qu’il vendit aux Cnidiens. Le roi Nicomède voulut acheter cette derniere à un prix immense, mais les Cnidiens refuserent ses offres. La beauté de cette statue attiroit un concours de gens qui venoient de tous côtés pour l’admirer.

Entre les statues de Vénus qui nous restent, la plus belle est la Vénus de Médicis ; on en a fait l’article. La Vénus de M. Maffei semble être faite pour ce passage de Térence, sine Cerere & Baccho friget Venus. Elle est accompagnée de deux cupidons, tenant un Thyrse entouré de pampres & couronné d’épis de blé. Elle a trois fleches dans sa main droite, pour marquer peut-être qu’elle décoche plus sûrement ses traits quand Cérès & Bacchus sont de la partie. On sait que les Spartiates représentoient Vénus armée, & cette idée qui enchantoit l’un & l’autre sexe, ne pouvoit convenir qu’à Lacédémone. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Vénus Anadioméne, (Peint. ant.) ce tableau étoit le chef-d’œuvre d’Apelles. Vénus étoit peinte sortant toute nue du sein de la mer, & c’étoit sur le modele de la belle concubine d’Alexandre, dont ce peintre admirable devint si tendrement épris en la peignant dans cet état, qu’Alexandre par une générosité aussi estimable qu’aucune de ses victoires, ne put s’empêcher de la lui donner ; magnus animo, major imperii sui, nec minor hoc facto, quàm victoriâ aliquâ, dit Phne, l. XXXV. c.x. Auguste mit dans le temple de Jules César, ce magnifique tableau. Voyez l’article d’Apelles au mot Peintres anciens. (D. J.)

Vénus Victrice, (Mythol.) cette déesse fut ainsi nommée par les poëtes, en conséquence du prix de la beauté qu’elle remporta sur Pallas & sur Junon ; elle est représentée ayant le bras appuyé sur un bouclier, tenant une victoire de la main droite, & son sceptre de la main gauche ; d’autres fois elle est représentée tenant de la main droite un morion, au-lieu de la victoire, & tenant de la gauche la pomme que lui adjugea l’amoureux Paris ; aussi lui promit-elle pour récompense une des plus belles femmes du monde, & elle lui tint si bien sa parole, qu’elle le favorisa de tout son pouvoir dans l’enlevement d’Hélene.

Vénus la voilée, (Mythologie.) Plutarque parle d’un temple dédié à Vénus la voilée. On ne sauroit, dit-il, entourer cette déesse de trop d’ombres, d’obscurité & de mysteres. Cette idée est aussi vraie qu’ingénieuse. La pudeur est si nécessaire aux plaisirs, qu’il faut la conserver même dans les tems destinés à la perdre. Le voile est une maniere délicate d’augmenter les charmes & d’enrichir les appas ; ce qu’on dérobe aux yeux, leur est rendu par la libéralité de l’imagination. Lisez sur ce sujet les réflexions semées çà & là dans la nouvelle Héloyse ; elles sont pleines d’esprit & de délicatesse. (D. J.)