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c’est-à-dire à toute personne de même nation ou alliée. Il n’y avoit d’exception que pour les étrangers, qui étoient tous regardés comme ennemis. Aussi S. Ambroise regarde-t-il comme deux actions égales, de sévir contre les ennemis par le fer, ou tirer de quelqu’un l’usure du prêt ; & il pense qu’on ne peut l’exiger que contre ceux qu’il est permis de tuer.

Mais la loi de l’Evangile, beaucoup plus parfaite que celle de Moïse, défend de prêter à usure, même à ses ennemis : diligite inimicos vestros, benefacite, & mutuum dare, nihil inde sperantes, & erit merces vestra multa. Luc, vj.

Les conciles & les papes se sont aussi élevés fortement contre les prêts à usure. Ils prononcent la suspension des bénéfices contre les clercs, & l’excommunication contre les laïcs qui ont le malheur d’y tomber. On peut voir là-dessus le tit. de usuris, aux decrétales ; le canon episcopis, dist. 47. & plusieurs autres.

Cependant l’usure punitoire ou conventionnelle, est permise en certains cas par le droit canon.

Chez les Romains, comme parmi nous, toute usure n’étoit pas défendue ; mais seulement l’usure lucratoire, lorsqu’elle étoit excessive. Elle ne devoit pas excéder un certain taux dont on étoit convenu, autrement le prêteur étoit déclaré infâme, & puni de la peine du quadruple ; en quoi l’usurier étoit traité plus rigoureusement que les voleurs ordinaires, dont la peine n’étoit que du double.

Aussi les choses étoient-elles portées à un tel excès, que l’on ne rougissoit point de tirer cent pour cent d’intérêt, qui est ce que l’on appelloit usure centésime. Cet abus s’étoit perpétué jusqu’au tems de Justinien, malgré les défenses réitérées de ses prédécesseurs, que cet empereur renouvella en prescrivant la maniere dont il êtoit permis de percevoir les intérêts.

En France, les ordonnances de nos rois ont toujours réprouvé le commerce d’usure, en quoi l’on s’est conformé à la doctrine de l’Eglise & au droit canon.

On a seulement distingué l’intérêt licite, de celui qui ne l’est pas, auquel on applique plus volontiers le terme d’usure.

Non-seulement on admet parmi nous les usures compensatoires, légales, & celles qu’on appelle punitoires ou conventionnelles, mais même l’usure lucratoire, pourvû qu’elle n’excede pas le taux permis par l’ordonnance : toutes ces usures sont reputées légitimes.

Mais l’usure lucratoire n’a lieu parmi nous qu’en quatre cas ; savoir, 1°. dans le contrat de constitution de rente ; 2°. pour les intérêts qui viennent ex morâ & officio judicis ; 3°. dans les actes à titre onéreux, autres que le prét, tels que transactions pour intérêts civils ou pour rentes, de droits incorporels, ou de choses mobiliaires en gros ; 4°. pour deniers pupillaires, ce qui n’a lieu que contre le tuteur, tant que les deniers sont entre ses mains.

Il y a cependant quelques pays où il est permis de stipuler l’intérêt de l’argent prêté, comme en Bretagne & en Bresse, & à Lion entre marchands, ou pour billets payables en payement. Voyez aux décrétales, au digeste & au code, les tit. de usuris ; & les traités de usuris, de Salmasius, & autres auteurs indiqués par Brillon au mot usure, Gregorius Tolosanus, Dumolin, Donat, tractatus contractuum & usurarum, Bouchel, & les mots Contrat de constitution, Intérêt, Prêt, Obligation, Usurier. (A)

Usure bessale, chez les Romains étoit l’intérêt à huit pour cent par an. Elle étoit ainsi appellée du mot bes, qui signifioit huit parties de l’as, ou somme entiere.

Usure centésime n’étoit pas, comme quelques

interpretes Pont pensé, un intérêt de cent pour cent par an ; car jamais une usure si énorme ne fut permise. L’usure centésime la plus forte qui ait eu lieu chez les Romains, étoit celle qui dans le cours de cent mois égaloit le sort principal, au moyen de ce que de cent deniers on en payoit un par mois ; car les anciens avoient coutume de compter avec leurs débiteurs tous les mois, & de se faire payer l’intérêt chaque mois. Un denier par mois faisoit douze deniers par an, ou le denier douze. Ainsi pour appliquer cela à nos valeurs numéraires, cent liv. tournois, chacune de vingt sols, & le sol de douze deniers, l’usure centésime auroit été de une livre tournois par mois, & douze livres tournois par an ; ce qui en huit ans & quatre mois égaleroit le sort principal.

Cette usure considérable s’étoit perpétuée chez les Romains jusqu’au tems de Justinien, malgré les défenses réitérées de ses prédécesseurs qu’il renouvella. Voyez Budaeus de asse, Hermolaus Barbarus, Ægidius Dosanus, Alciatus Molinaeus de usuris, Gregorius Tolosanus, & les mots Intérêt, Usure unciale. (A)

Usure civile, Pline donne ce nom aux usures semisses, parce que c’étoient les plus fortes des usures communes. Voyez Gregorius Tolosanus, liv. II. ch. iij.

Usure compensatoire est celle par laquelle on se dédommage du tort que l’on a reçu, ou du profit dont on a été privé, propter damnum emergens, vel lucrum cessans.

Cette usure n’a rien de vicieux, ni de repréhensible suivant les lois & les canons, parce que hors le cas d’une nécessité absolue, l’on n’est pas obligé de faire le profit d’un autre à son préjudice.

C’est sur ce principe qu’il est permis au vendeur de retirer les intérêts du prix d’un fonds dont il n’est pas payé, & ce en compensation des fruits que l’acquéreur perçoit.

Il en est de même des intérêts de la dot, exigible & non payée, de ceux de la légitime ou portion héréditaire, d’une soute de partage, ou d’un reliquat de compte de tutelle.

Cette usure compensatoire est aussi appellée légale, parce qu’elle est dûe de plein droit & sans convention.

Usure conventionelle est l’intérêt qui est dû en vertu de la stipulation seulement, à la différence des intérêts qui sont dûs de plein droit en certains cas, & que l’on appelle par cette raison usures légales.

L’usure punitoire est du nombre des usures conventionnelles. Voyez Usure légale & Usure punitoire.

Usure deunce étoit l’intérêt à onze pour cent par an ; le terme deurce signifiant onze parties de l’as ou somme entiere.

Usure dextante étoit l’intérêt à dix pour cent par an, dextans signifiant dix parties de l’as ou principal. Voyez Usure unciale.

Usure dodrante étoit l’intérêt à neuf pour cent par an, car dodrans signifioit neuf parties de l’as. Voyez Usure unciale, Usure sextante, &c.

Usure légale c’est l’intérêt qui est dû de plein droit, en vertu de la loi & sans qu’il soit besoin de convention, comme cela a lieu en certains cas, par exemple pour les intérêts du prix de la vente d’un fonds, pour les intérêts d’une dot non payée, d’une part héréditaire, légitime, soute de partage, &c. Voyez Usure compensatoire.

Usure légitime, on appelloit ainsi chez les Romains, le taux d’intérêt qui étoit autorisé & le plus usité, comme l’usure trientale, c’est-à-dire à 4 pour 100, ou l’usure quinquunce, c’est-à-dire à 5 pour 100