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les de feu comprises & renfermées dans les pores de ces corps, de sorte qu’elle s’y conserve tant que ces corps sont en repos ; mais qu’aussi-tôt qu’ils sont mis en mouvement par la chaleur & l’humidité de la bouche, ou par leur chûte dans l’eau froide, ou par d’autres causes semblables, ils brisent leur prison, & se manifestent par leurs effets.

Cette opinion a été mise dans un plus grand jour par les expériences de M. Lemery faites sur la chaux vive, sur le régule d’antimoine, sur l’étain, &c. dans la calcination desquels il observe 1°. que le feu dont ils s’imbibent dans l’opération fait une addition sensible au poids du corps, & que ce feu monte quelquefois à un dixieme du poids ; que pendant ces emprisonnement ce même feu conserve toutes les propriétés particulieres ou caracteres du feu, comme il paroît parce qu’étant remis une fois en liberté, il produit tous les effets du feu naturel. Ainsi lorsqu’on calcine un corps pierreux & salin, & qu’on verse de l’eau sur ce corps, ce fluide, par son impression extérieure, suffit pour rompre les cellules, & pour en faire sortir le feu : l’éruption de ce feu échauffe l’eau plus ou moins, à proportion de la quantité de feu qui étoit logée dans ces cellules. C’est pour cela aussi que certains corps de cette nature contiennent visiblement une partie du feu actuel ; & la moindre cause suffit pour le dégager : en les appliquant à la peau de la main, ils la brûlent, & y font un escarre qui ressemble assez à celle que produiroit un charbon vif.

L’on objecte que les particules de feu ne sont telles qu’en vertu du mouvement rapide dont elles sont agitées ; de sorte que si on veut les supposer fixes dans les pores d’un corps, c’est vouloir les dépouiller absolument de leur essence, ou de ce qui fait qu’elles sont du feu, & par conséquent les mettre hors d’état de produire les effets qu’on leur attribue.

M. Lemery répond que quoique le mouvement rapide du feu contribue infiniment à ses effets, cependant il faut avoir égard en même tems à la figure singuliere de ses particules ; & que quoique le feu soit renfermé & fixe dans la substance des corps, il ne doit point perdre son essence pour être en repos, non plus que les autres fluides ne la perdent dans les mêmes circonstances. L’eau, par exemple, est un fluide dont la fluidité dépend du feu, comme il a été déja observé ; & par conséquent elle est moins fluide que lui : cependant on voit tous les jours que l’eau est enfermée dans des corps de toute espece, sans perdre sa fluidité, ni aucune des propriétés qui la caractérisent. Ajoûtez à cela que l’eau étant gelée, le mouvement de ses parties est indubitablement arrêté : cependant comme la figure de ses particules demeure la même, elle est préte à redevenir fluide par la moindre chaleur. Voyez Chaleur ci-dessus, & Thermometre.

Enfin quoique l’on convienne que le sel est la matiere du goût, & qu’il a certaines propriétés qui dépendent principalement de la figure de ses parties ; cependant le sel n’agit qu’autant qu’il est dissous, ou, ce qui revient au même, lorsqu’il nage dans un fluide propre à tenir ses parties en mouvement. Le sel, pour n’être point fondu, n’en est pas moins du sel, ou la matiere du goût ; & pour le dépouiller de cette qualité, il faut altérer la figure de ses parties. Voyez Sel.

On objecte encore qu’il seroit impossible de fixer une matiere aussi fine, subtile, pénétrante, & active, que celle du feu, dans la substance spongieuse d’un corps poreux & grossier. Mais cette objection, selon M. Lemery, n’est pas d’un grand poids ; car quoique les corps soient tous fort poreux, rien ne prouve qu’il y ait aucun corps dont les pores

soient trop grands pour pouvoir recevoir la matiere du feu. On objecte outre cela qu’un corps qui pourroit entrer dans un autre corps solide, pourroit en sortir avec la même facilité ; & que s’il ne pénétroit dans ce corps que parce que ses propres corpuscules seroient plus petits que les pores de celui où ils iroient se loger, la même raison leur en devroit faciliter la sortie : on répond que les pores ne sont plus dans le même état qu’auparavant ; parce que le feu en calcinant un corps, en ouvre & dilate les pores, qui après que le feu a cessé d’agir, doivent se refermer & se serrer de nouveau. Nous ne sommes ici qu’historiens. Mém. de l’Acad. 1713.

M. Boyle, comme nous avons déja dit, a substitué au feu substance une propriété méchanique ; savoir, une texture particuliere des parties. Quoique l’on puisse supposer une grande ressemblance entre les particules de feu qui adherent à la chaux vive, & celles d’esprit-de-vin bien rectifié, cependant il dit qu’il n’a pas trouvé que l’esprit-de-vin versé sur la chaux vive ait produit aucune chaleur sensible, ni aucune dissolution visible de la chaux ; & que néanmoins elle a paru s’en imbiber aussi avidement qu’elle a coûtume de faire d’eau commune. Il a trouvé aussi qu’en versant de l’eau froide sur la même chaux ainsi imbibée, elle ne produit aucune chaleur sensible, & même que la masse de chaux ne s’enfle & ne se casse qu’au bout de quelques heures : ce qui prouve, dit-il, que la texture de la chaux admet quelques particules de l’esprit-de-vin dans quelques-uns de ses pores qui sont les plus larges ou les plus propres pour sa réception, & qu’elle leur refuse l’entrée dans le plus grand nombre de ses pores, où la liqueur devroit être reçûe pour être en état de détruire promptement les corpuscules de chaux jusque dans ses parties insensibles.

Ces phénomenes, selon M. Boyle, semblent prouver que la disposition qu’a la chaux vive de s’échauffer dans l’eau, dépend en partie de quelque texture particuliere, puisque les parties aqueuses qu’on pourroit croire capables d’éteindre la plûpart des atomes ignés qu’on suppose adhérer à la chaux vive, n’affoiblissent point à beaucoup près sa disposition à la chaleur ; au lieu que le grand nombre de corpuscules spiritueux, & leur texture conforme à celle de la chaux, ne semblent pas augmenter cette disposition.

Cependant il paroît que le même auteur, en d’autres endroits, retombe dans l’opinion des corpusculaires, en avançant que si au lieu d’éteindre la chaux vive avec de l’eau froide, on se sert d’eau bouillante, l’ébullition sera infiniment plus considérable ; ce qui assûrément n’est pas difficile à croire, puisque l’eau bouillante est beaucoup plus propre à pénétrer promptement le corps de la chaux, à le dissoudre sur le champ, & à mettre en liberté les parties salines & ignées dont elle abonde.

Il a essayé aussi de déterminer pourquoi les sels produisent plus promptement les mêmes effets que ne fait l’eau chaude, en versant des esprits acides, & en particulier de l’esprit de sel, sur de bonne chaux vive : par ce moyen on excite une chaleur beaucoup plus considérable que si on se servoit d’eau commune, soit qu’on employe ces esprits froids ou chauds.

Il n’est point aisé, dit le même auteur, de comprendre pourquoi des corps si légers & si petits seroient retenus dans la chaux aussi long-tems qu’ils doivent l’être suivant cette hypothese, puisque l’eau versée sur le minium ou sur le crocus martis, ne les échauffe pas beaucoup, quoiqu’ils ayent été calcinés par un feu violent, dont les corpuscules ou atomes semblent adhérer à leurs parties, comme on en juge par l’augmentation de poids que donne vi-