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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/668

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du fust des colonnes ; mais dans leur tiers inférieur l’on ajoûte des roseaux ou rudentures (voyez Rudentures), qui par leurs formes convexes alterent moins la solidité inférieure de la colonne : de ces roseaux sortent le plus souvent des graines, des feuilles, & des fleurons, qui forment un agréable effet ; ainsi qu’on l’a pratiqué aux colonnes des Tuileries, dont les tiges de quelques-unes sont fuselées d’une maniere inimitable. Au reste on doit observer que ce genre de richesse devroit être reservé pour l’ordre corinthien, malgré l’exemple célebre que nous citons ; & malgré celles du vestibule du château de Maisons, qui étant d’ordre dorique, en sont encore moins susceptibles, quoique renfermées dans l’intérieur du bâtiment.

L’on voit des colonnes ioniques au palais des Tuileries, où au lieu de cannelures, on a introduit des bossages à bandelettes, enrichis de membres d’architecture & d’ornemens assez précieux : mais il n’est pas moins vrai que cette sorte d’enrichissement est peu convenable à cet ordre, par la raison que les hommes intelligens, accoûtumés au genre de beauté qui se remarque en général dans le rapport de la hauteur d’une colonne avec son diametre, croyent qu’il est détruit, lorsque par des bossages horisontaux (voyez Bossage) l’œil ne peut sans obstacle parcourir son fust sans distraction.

Les fusts corinthien & composite sont susceptibles des mêmes ornemens dont nous venons de parler, c’est-à-dire de cannelures que l’on orne plus ou moins de listeaux, de rudentures, &c. Mais nous remarquerons qu’aujourd’hui où il semble qu’on porte en général toute son attention à la décoration intérieure des bâtimens, l’on fait peu d’usage des cannelures dans les dehors, même jusque dans nos édifices sacrés : exemple, les portails de saint Roch, des Petits-Peres, de l’Oratoire, &c. où le fust des colonnes qui y sont employées est sans cannelures, & où l’on a supprimé presque tous les ornemens des entablemens.

Quelquefois l’on fait le fust des colonnes en spirale, qui pour cette raison sont nommées torses (voy. Torse) ; telles que celles qui se voyent au maître autel de S. Pierre à Rome, celles de l’abbaye S. Germain-des-Prés, des Invalides, & du Val-de-Grace à Paris : ces colonnes sont ornées de feuillages, de rinseaux, de pampres, & autres ornemens arbitraires, allégoriques, ou symboliques.

En général, lorsqu’une colonne surpasse deux ou trois piés de diametre, on la nomme colossale ; telles que celle de Trajan à Rome, d’ordre toscan, qui en a huit, & qui est ornée de bas-reliefs qui représentent les principales actions de cet empereur dans la guerre qu’il eut contre les Daces : ces bas-reliefs ont été expliqués par plusieurs savans, & Louis XIV. les a fait mouler en plâtre pour en avoir des modeles ; preuve incontestable de la beauté de cet ouvrage célebre. Il se voit encore à Rome une colonne colossale, nommée celle d’Antonin, ainsi qu’à Paris celle nommée de Medicis, dans l’emplacement de l’ancien hôtel de Soissons, qui servoit d’observatoire à la reine de ce nom, après l’avoir fait élever près de son palais, dont cette colonne est la seule chose qui ait été conservée. Ces trois colonnes colossales dont nous venons de parler, ne sont couronnées d’aucun entablement, mais seulement élevées sur des piés-d’estaux, leur extrémité supérieure étant couronnée de figure colossale ; à l’exception de celle de l’hôtel de Soissons, où l’on voit les armatures de fer, propres à porter les instrumens astronomiques dont cette reine faisoit usage. (P)

Colonne, (Hist. anc.) Dans la premiere antiquité les colonnes ont servi de monumens historiques. Josephe, liv. I. des antiq. Jud. ch. iij. rapporte que

les enfans de Seth érigerent deux colonnes, l’une de pierre & l’autre de brique, sur lesquelles ils graverent les connoissances qu’ils avoient acquises dans l’Astrologie ; & il ajoûte que de son tems on voyoit encore celle de pierre dans la Syrie. Les Hébreux se servoient de colonnes pour borner leurs héritages, & les Perses & les Grecs pour marquer les limites des provinces. On écrivoit sur des colonnes les lois, les coûtumes, les traités de paix, & les alliances. Les Grecs en posoient ordinairement sur les tombeaux, avec des inscriptions ou des figures relatives aux morts qu’ils renfermoient ; & les Latins imiterent cet usage. Ils en érigeoient encore aux vainqueurs, aux empereurs, ornées de bas-reliefs & de sculptures qui représentoient leurs exploits. Telle est la colonne Trajane, monument élevé à la gloire de Trajan. On en mettoit encore sur les grands chemins de mille en mille pas, qu’on nommoit par cette raison colonnes milliaires. Les Romains désignoient ces milles par ces deux lettres, M. P. avec un chiffre qui marquoit le nombre des milles ; par exemple, M. P. XXII. millia passuum viginti duo. Et les Gaulois qui comptoient par lieues, exprimoient les distances par la lettre L. avec le nombre des lieues : ainsi dans les colonnes milliaires découvertes en France, L. VII. signifie leugæ ou leucæ septem, sept lieues. (G)

* Colonne Antonine : elle fut élevée à l’honneur de M. Aurele Antonin. Elle est creuse : on a pratiqué en-dedans un escalier de 206 marches. Elle a 175 piés de hauteur, mesure ancienne, ou 160 mesure Romaine d’aujourd’hui : cinquante-six petites fenêtres l’éclairoient. Le tems & le feu l’avoient beaucoup endommagée. On la répara sous Sixte V. Ce pontife fit placer au haut une statue de S. Paul fondue en bronze & dorée, ornement assez barbare : car qu’y a-t-il de plus mauvais goût, pour ne rien dire de pis, que la statue d’un apôtre du Christianisme au haut d’un monument chargé des actions militaires d’un empereur payen ? On y voit la légion fulminante ; un orage épouvantable conserve l’armée Romaine prête à périr de soif, & met en suite l’ennemi. Elle est placée en-deçà & à droite della strada del Corso. On y entre par une porte pratiquée à son pié-d’estal : une plate-forme quarrée portant une grille de fer lui sert de chapiteau. On lit sur les faces de la plate-forme, sur la premiere, Sixtus V. sur la seconde, S. Paulo ; sur la troisieme, apost. sur la quatrieme, pont. A. IIII. Sur l’une des faces du pié-d’estal on a placé l’inscription suivante : Sixtus V. pont. max. columnam hanc ab omni impietate expurgatam, S. Paulo apostolo area ejus statua inaurata à summo vertice posit. D. D. ann. M. D. LXXXIX. pont. IV. Sur la seconde face : Columnam hanc cochlidem, imp. Antonino dicatam, misere laceravit, ruinosamque primæ formæ restituit, an. M. D. LXXXIX. pont. IV. Sur la troisieme : M. Aurelius imp. Armenis, Parthis, Germanisque bello maximo devictis, triumphalem hanc columnam rebus gestis insignem, imp. Antonino Pio patri dicavit. Et sur la quatrieme : Triumphalis & sacra nunc sum Christi verè Pium discipulumque serens, qui per crucis prædicationem de Romanis Barbarisque triumphavit. C’est une erreur que d’avoir attribué cette colonne à Antonin le Pieux ; celle-ci a été trouvée dans la suite sous des maisons, d’où Clément XI. la fit tirer. Elle est de marbre tacheté de rouge, & semblable à celui qui vient de Sienne en Egypte : elle a cinquante-cinq piés de hauteur. On lit sur un de ses côtés : Divo Antonino Augusto Pio, Antoninus Augustus, & verus Augustus, filii. On voit ailleurs l’apothéose d’Antonin & une pompe funebre conduite par des gens à pié, à cheval, en chars ; ce furent ses fils qui firent sculpter ces bas-reliefs après la mort de leur pere.