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de l’épine, aux nerfs, aux arteres, & aux veines.

Enfin ils sont joints entre eux, & quelques-uns même avec ceux de la face, par sutures ; & ces sutures sont d’autant plus apparentes, que les sujets sont plus jeunes.

Cependant il n’en est pas moins vrai que les diverses pieces des os du crane n’en font véritablement qu’une seule ; qu’elles ne sont pas seulement appliquées les unes contre les autres, mais que dans tout le crane, dès le moment de sa formation, il n’y a pas une seule interruption de continuité : c’est une belle découverte qu’on doit à M. Hunauld.

Pour s’assûrer de cette vérité, qui en a d’abord si peu les apparences, il faut avec soin enlever le péricrane dessus une suture ; on apperçoit alors la continuité d’un os avec son voisin par le moyen d’une membrane qui est placée entre deux, & qui fait partie de l’une & de l’autre : on remarque des filets membraneux qui sortant du fond des échancrures, s’implantent dans les dents de l’os opposé, & qui lorsqu’on remue en différens sens un des os que forme la suture, s’étendent & se relâchent. Après avoir détaché exactement la dure-mere, on apperçoit la même chose au-dedans du crane. Tout cela se remarque très-bien dans la tête d’un enfant mort d’hydrocéphale.

Cela se concevra sans peine, si l’on fait attention à la maniere dont se forment les différens os du crane. Le crane, dans un fœtus peu avancé, n’est qu’une membrane qui se métamorphose insensiblement en os. Un endroit de cette membrane commence peu-à-peu à s’ossifier ; cette ossification gagne & se continue par des lignes qui partent comme d’un centre de l’endroit où l’ossification a commencé : dans différens endroits de cette calote membraneuse commencent en même tems d’autres ossifications, qui de même font du progrès & s’étendent ; lorsqu’elles sont parvenues à un certain point, le bord de chaque ossification commence à prendre en partie la conformation que le bord de l’os doit avoir par la suite, & à s’ajuster avec l’ossification voisine. Voyez les mém. de l’acad. des Scienc. 1730.

On trouve assez souvent entre les sutures du crane, mais sur-tout dans la lambdoïde, de petits os de différente grandeur & figure, que les Anatomistes nomment clés, & en latin ossa wormiana. Voyez Suture, Trou, Diploé, Table, &c. On détaillera l’explication de tous ces mois dans cet ouvrage.

Le crane est une partie du corps humain qui fournit le plus de variétés dans la structure de ses os, & par rapport aux sutures qui les unissent : ces phénomenes peuvent mieux se comprendre que ceux des variétés qu’on rencontre souvent dans d’autres parties du corps humain. Ce qui est un crane actuellement, n’a été d’abord, comme on l’a dit ci-dessus, qu’une membrane, dans différens endroits de laquelle l’ossification ayant commencé plus ou moins tôt, a occasionné des conformations particulieres : là où l’ossification s’est arrêtée, elle a laissé des parties membraneuses ; & suivant qu’elle a été plus ou moins prompte, les sutures se sont conservées plus ou moins long-tems.

Mais les variétés qu’on rencontre dans la figure de certains cranes sont quelquefois si étranges, qu’on ne comprend pas comment le cerveau a pû se développer d’une façon qui y réponde, & qui soit si différente de celle qu’il doit naturellement avoir.

On trouve par toute l’Europe, dans les cabinets des curieux, quantité de cranes de toutes sortes de figures irrégulieres, & qui présentent des exemples de ces variétés étranges difficiles à concevoir. Les uns sont extrèmement allongés, les autres applatis sur les côtés, les autres singulierement saillans ou

épais, les autres enfoncés & déprimés de diverses manieres.

J’ai vû chez M. Hunauld le crane d’un Caraïbe qui n’avoit absolument point de front ; ce crane sembloit regagner postérieurement en longueur ce qui lui manquoit sur le devant. M. Hunauld possédoit encore le crane d’un sujet assez avancé en âge, dans lequel il y avoit au milieu de la suture sagittale un enfoncement considérable fait dans la jeunesse, & remplacé par deux especes de bosses sur les côtés. Le même anatomiste conservoit un autre crane fort resserré sur le côté, & qui en récompense s’étendoit de devant en arriere.

Il y a dans le cabinet du Roi à Paris un crane, n°. cxv. dont l’endroit le plus élevé sur l’os pariétal gauche a dix lignes de distance de la suture sagittale. La compression qui a causé ce défaut de naissance a été telle, que l’orbite gauche est plus élevé que le droit, & les machoires sont plus basses du côté droit que du côté gauche.

Il y a un autre crane, n°. cxviij. dont le bord supérieur du côté droit de l’os occipital déborde d’un pouce, & ce même os se trouve de niveau au pariétal vers sa partie moyenne.

Il y a un troisieme crane, n°. cxxij. dont le côté droit du front est plus avancé que le côté gauche, tandis que le côté droit de l’occipital accompagné d’une dépression, est moins saillant que le gauche.

Le n°. cxxjv. est la coupe d’un crane dont l’occipital a jusqu’à demi-pouce d’épaisseur. On peut parcourir à ce sujet le tome III. de la description du cabinet du Roi par M. Daubenton ; & ce n’est pas le cabinet de l’Europe qui soit rempli du plus grand nombre de pieces rares en ce genre, produites par défaut de conformation, par des accidens, ou des maladies.

M. Hunauld a fait voir à l’académie des Sciences le crane d’un enfant de trois ou quatre ans, dont les os avoient presque sept ou huit lignes d’épaisseur ; ils étoient assez mous, & en les pressant on en faisoit sortir du sang & de la lymphe en abondance. Le même fait a été observé par Hippocrate, & c’est un cas bien singulier. Voy. son traité des plaies de la tête, sect. 2. Velschius, dans ses observations de Physique & de Medecine, parle aussi d’un homme dont le crane fut trouvé épais d’un doigt, & sans suture.

Enfin il y a des peuples entiers qui défigurent de différentes manieres le crane de leurs enfans des le moment de leur naissance. Les Omaguas, au rapport de M. de la Condamine (Mém. de l’ac. des Sc. 1745, p. 428.), ont la bisarre coûtume de presser entre deux planches le front des enfans qui viennent de naître, & de leur procurer l’étrange figure qui en résulte, pour les faire mieux ressembler, disent-ils, à la pleine lune.

On jugera que le cerveau sera plus disposé à se détruire, qu’à se prêter à un développement différent de celui qu’il doit naturellement acquérir, si l’on fait attention qu’il est un assemblage d’une infinité de tuyaux d’une petitesse extrème, & que les parties qui composent ces tuyaux n’ont entr’elles qu’une liaison bien foible. En effet, on sait que lorsque l’injection a pénétré jusque dans la substance corticale, si on remue légerement cette substance dans l’eau, ses parties se détachent les unes des autres, les vaisseaux se détruisent, & il ne reste que des filets prodigieusement petits qui ont pénétré jusque dans leur cavité. Cependant il n’arrive chez les peuples à tête plate dont nous venons de parler, aucun accident de la configuration difforme qu’ils procurent au crane en le comprimant dès la naissance, ni aucun développement de leur cerveau, différent de celui qui se feroit naturellement L’organe des organes, le cerveau, le siége de l’ame, est donc pour nos