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Page:Du Camp - Paris, tome 1.djvu/15

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Au delà du quai où mourut Voltaire, au delà de cette caserne qui, après avoir été habitée par les mousquetaires de la maison du roi, par les élèves de Mars, par la garde consulaire, par les guides, par les gardes du corps, l’est aujourd’hui par les cent-gardes, un maigre fronton annonce le Corps législatif, où s’agitèrent des questions qui tenaient jadis l’Europe en suspens ; puis l’horizon se ferme par la colline qui devait porter le palais du roi de Rome et qui, vide encore à cette heure, prouve l’inanité des rêveries humaines.

C’est de là, des abords de la statue de Henri IV, qu’il faut regarder Paris ; du haut de Montmartre, de Notre-Dame ou de Saint-Sulpice, on voit mal. La brume de fumée bleuâtre, incessamment poussée par deux cent mille cheminées, plane au-dessus des toits, enveloppe la ville d’une atmosphère indécise, noie les détails, déforme les édifices et produit une inextricable confusion. Là, au contraire, sur le pont Neuf, près de l’ancien îlot de la Gourdaine, le panorama est net et précis, la perspective garde des plans distincts qui conservent dans l’éloignement des proportions exactes ; tout est clair, s’explique et se fait comprendre.

Un jour que j’étais arrêté devant un des bancs demi-circulaires qui ont fort heureusement été substitués aux laides boutiques construites autrefois par Soufflot, et que, pour la millième fois peut-être, je contemplais le grand spectacle déroulé sous mes yeux, voyant passer des trains de bois sur la Seine, écoutant le sourd bourdonnement des omnibus qui faisaient trembler les pavés, apercevant une voiture cellulaire qui entrait à la Conciergerie, regardant le panache de fumée tordu sur les cheminées de la Monnaie, côtoyé par des sergents de ville et par des facteurs, suivant de l’œil les lourds camions qui sortaient des halles, bercé par le murmure monotone d’une capitale en activité, je me suis demandé