Page:Du Camp - Paris, tome 1.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

contemporains et les témoins intéressés d’un si profond bouleversement ; nous sommes dérangés dans nos habitudes, nous avons dans les yeux la poussière des démolitions, nous nous promenons mélancoliquement à travers la ville, chassés par l’expropriation, cherchant un gîte où nous ne restons que le temps voulu pour en être expulsés de nouveau ; cela est irritant, j’en conviens, et j’en ai parfois pesté tout aussi bien qu’un autre. Mais lorsqu’on voit la ville magnifique qui s’élève à la place de l’ancienne, comment garder rancune et ne pas accorder de bonne grâce ce que les Anglais appellent un bill d’indemnité ?

Le préfet de la Seine est devenu le bouc émissaire des péchés d’Israël ; tout ce qu’on dit aujourd’hui contre lui, je l’ai lu déjà dans les écrivains du siècle dernier, qui blâmaient les embellissements entrepris sous Louis XIV. C’est la mode, et il faut un certain courage pour n’y point obéir. Le préfet est de taille à se défendre, et je ne m’essayerai pas à une si lourde tâche. On lui reproche d’aller trop vite ; je ne veux point faire de paradoxes, mais je lui reprocherai diamétralement le contraire ; je trouve qu’il va trop lentement.

Lorsque je parcours certains quartiers, lorsque je traverse la rue de Nevers, la rue des Filles-Dieu, la rue Pirouelle, la rue de la Grande-Truanderie, quand je visite l’hôtel des Postes, où l’on n’oserait placer un refuge de lépreux, quand je vois l’Administration des lignes télégraphiques encombrée de la cave au grenier par des employés qui n’ont pas assez d’espace pour manœuvrer leur appareil, lorsque je me heurte la tête au plafond des baignoires de la Comédie-Française, lorsque je pénètre dans l’Entrepôt général des vins et que j’y trouve les rues forcément barricadées par les pièces gerbées les unes sur les autres, lorsque je constate que les cours des collèges sont des préaux sans verdure et sans soleil,