Page:Du Camp - Paris, tome 2.djvu/19

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campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine : et en effet ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines : ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu’ils ont semé. »

Deux grands hommes de bien, sans s’être donné le mot, publient la même année, 1707, chacun un livre qui aurait dû ouvrir les yeux au roi et convertir les ministres de ses volontés. Le Détail de la France par Boisguillebert, et le Projet de dîme royale de Vauban, sont deux minces volumes où le salut de la monarchie était implicitement contenu, et qui sont le point de départ de toute la science économique de notre temps. Tous deux avaient vu la misère de près, ils avaient vécu au milieu de ce doux peuple de France dont ils avaient admiré la résignation, écouté les plaintes et déploré la persistante infortune. Frappés des maux qu’ils avaient contemplés, ils y cherchèrent un remède, le trouvèrent, le mirent au jour, et ne furent point écoutés.

Saint-Simon a raconté les dédaigneuses colères de Pontchartrain lorsqu’il eut connaissance de ces projets de réforme. La situation de la France y est exposée au vif. Les peuples, dit Boisguillebert, s’estimeraient heureux s’ils pouvaient avoir du pain et de l’eau, à peu près leur nécessaire ; ce qu’on ne voit presque jamais. — Les denrées de la Chine et du Japon, en arrivant en France, n’augmentent que de trois fois le prix qu’elles ont coûté sur les lieux ; mais les liquides qui viennent d’une province à l’autre de la France, quoique souvent limitrophes, augmentent de dix-neuf parts sur vingt et même davan-