Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/367

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conditions dont les termes se combattent si précisément, qu’ils se neutralisent et se réduisent à néant. D’une part, on veut qu’elle protège la santé et la morale publiques ; de l’autre, on exige qu’elle respecte la liberté individuelle. Or, comme on ne peut sauvegarder la morale et la santé publiques qu’en arrêtant les femmes dont le seul métier est d’y porter atteinte, et qu’on ne peut les arrêter sans exciter des récriminations singulièrement violentes on hésite, on recule devant un parti radical ; le mal gagne avec la rapidité d’une lèpre non combattue, et il fait de si actifs progrès, que, lorsqu’on veut y donner remède, il n’est plus temps.

Tel homme, négociant respectable et patenté qui, le soir, en arrivant à son cercle, dira : Les boulevards sont pleins de filles perdues, on ne saurait s’y promener avec sa femme ou sa sœur ; à quoi donc pense la police, de ne pas faire balayer toutes ces impuretés ? à minuit, en rentrant chez lui, s’il voit un inspecteur du service actif saisir une femme prise en flagrant délit de provocation ; si, selon l’invariable habitude en pareil cas, la femme pleure, crie, se roule par terre et appelle au secours, ce même homme, ce défenseur des bonnes mœurs, insultera les agents, tâchera de leur arracher la « victime » qu’ils emmènent et peut-être s’oubliera jusqu’à les maltraiter. Les Parisiens sont ainsi faits et combattent volontiers pour les dames, sans s’inquiéter d’abord si l’infirmerie de Saint-Lazare ne les réclame pas. Lorsque, après maints délits excusés, pardonnés, intentionnellement négligés, on se décide enfin à arrêter une de ces créatures, on ne peut imaginer la qualité et le nombre des gens qui accourent pour intercéder en sa faveur et réclamer « cette petite ». C’est à ne pas comprendre comment la vénalité du plaisir peut faire naître de si considérables protections.

Au milieu de nombreuses arrestations opérées le