Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/390

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quand la guerre est venue tout arrêter. Pendant le siège, malgré le manque de ressources et de travail, nous avons conservé toutes nos enfants sans exception. Elles ont passé les trois dernières semaines dans deux petites caves, à cause de la violence du bombardement dans ce quartier. Ce n’était que le prélude de nos désastres. Le 23 mai au soir, la maison, investie depuis plusieurs jours par les communeux, a dû être évacuée en quelques minutes, par leur ordre et sous leurs menaces. Environ 130 enfants et 12 religieuses[1] se sont trouvées subitement jetées dans les rues de Paris, au milieu de la bataille, à onze heures du soir. Le feu était mis simultanément à tous les bâtiments et à la chapelle. Nos enfants avaient dû fuir sans avoir le temps de rien emporter, sinon leurs malades et leurs infirmes. Mobilier, vêtements, linge, tout a été littéralement réduit en cendres. Après avoir erré presque toute la nuit, au milieu de grands dangers, la pauvre colonie a été charitablement recueillie à l’Hôtel-Dieu, jusqu’à ce que l’occupation du faubourg Saint-Germain par nos troupes leur permît d’aller chercher un autre asile. Notre présidente, madame la comtesse de Kergorlay, avait mis à leur disposition ; en cas de malheur, son hôtel rue de Varennes. Elles y sont restées cinq semaines, manquant de lits, de vêtements, de mille choses qu’on ne peut rendre à une réunion de 140 personnes sans beaucoup de temps et d’argent, mais heureuses de partager ensemble ce temps d’épreuves. Le 24 mai au matin, quoique séparées pendant la suite de la nuit, pas une n’avait manqué à l’appel. Cinq semaines après leur arrivée chez madame de Kergorlay, nous avions obtenu l’autorisation de leur donner asile dans la grande maison d’école de la rue de Babylone prolongée. Mais c’était encore une mesure provisoire, et il fallait avoir déménagé pour le 1er octobre. Au dernier moment seulement, et après de longues et inutiles recherches, nous avons pu louer pour elles une maison à Vaugirard. Elles y ont passé deux ans.

« L’avenir semblait des plus incertains. Nous n’avions en capital que la très-modique somme qui nous avait été donnée pour agrandir le Bon-Pasteur, et sur laquelle il avait fallu de toute nécessité prélever quelque chose pour traverser, sans voir périr l’œuvre, ces temps difficiles. Nous ne pouvions songer à bâtir qu’en diminuant de plus de moitié le nombre de nos enfants, tandis qu’il faudrait le décupler pour répondre aux supplications qui nous sont

  1. C’est aux sœurs de Saint-Thomas de Villeneuve que Raoul Rigault disait : « Je vous croyais déjà au ciel, où vous avez tant d’envie d’aller. Je saurai bien vous y envoyer ! » Pendant que des hommes de la Commune enduisaient de pétrole les murs de la maison hospitalière, une de ces humbles filles s’acharnait à jeter de l’eau pour empêcher l’incendie. Ces hommes, impatientés, finirent par l’enduire de pétrole elle-même, et il fallut que quelques braves gens qui assistaient à cette scène entraînassent de force la vaillante sœur pour la cacher à l’Hôtel-Dieu. (Louis Lacaze, loc. cit.)