Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/81

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ils n’y manquent guère ; combien en a-t-on vu se jeter à la tête de chevaux emportés, poursuivre les chiens enragés, secourir les blessés, contraindre les débitants à ne pas vendre à faux poids et détourner les yeux afin de ne pas voir une marchande des quatre saisons fatiguée qui arrête sa charrette pour prendre un peu de repos ?

Leur honnêteté est proverbiale, et tout objet trouvé par eux est remis entre les mains du commissaire de police ; ces traits de probité sont si fréquents, qu’on ne les signale même plus dans les ordres du jour. La Correspondance secrète sur la fin du règne de Louis XVI, publiée par M. de Lescure[1], raconte qu’un joueur chargé d’or se mit pour rentrer chez lui sous la protection d’une patrouille qui le dévalisa. Ces temps-là ne sont plus, et l’on peut se confier aux sergents de ville. Parfois cependant, et en dehors des motifs politiques qui surexcitent tous les esprits, on est injuste pour eux. On exige qu’ils soient infaillibles ; c’est là le côté vraiment douloureux de leur situation, ils ne peuvent se tromper ; s’ils n’arrêtent pas un coupable, on les accuse de négligence ; si par malheur ils arrêtent un innocent, on crie à l’arbitraire. Lorsqu’on les voit saisir et entraîner un malfaiteur vers le poste, il se produit presque toujours dans la foule témoin du fait un sentiment de réprobation et comme une envie instinctive de délivrer celui que l’on emmène.

Cette impression est tellement naturelle au Français, qu’il n’est peut-être pas un de nous qui ne l’ait ressentie. Cela se comprend ; notre histoire pèse sur nous, elle nous a pénétrés si profondément que, malgré bien des révolutions, bien des changements radicaux apportés à nos lois, nos mœurs ont peu changé et que nous

  1. Correspondance secrète inédite sur Louis XVI, Marie-Antoinette, la cour et la ville, de 1777 à 1792, publiée par M. de Lescure. 2 vol in-8o, Paris, 1866.