Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/263

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toute sorte de mauvais moyens, mais on trompa sa religion et l’on abusa sa conscience. Une industrie nouvelle se créa qui, sous prétexte de prendre en main les intérêts des expropriés, ne recula devant aucune fraude. Il est inutile de prononcer ici le nom de cette société d’agents véreux, qui a laissé de cuisants souvenirs dans la mémoire des entrepreneurs auxquels elle eut affaire. Voici quel était le procédé. L’agence se chargeait de toute la procédure de l’expropriation moyennant une remise minima de 10 pour 100 sur l’indemnité obtenue ; elle s’adressait de préférence aux petits industriels et elle était outillée de façon à leur fournir des livres de commerce détaillés, de faux inventaires, des marchandises apparentes, qui souvent n’étaient que des bûches enveloppées de papier ; elle procurait même des clients nombreux, qui encombraient la boutique au jour où le jury venait faire la visite réglementaire ; elle fabriquait des baux exagérés, prolongés, antidatés sur des feuilles de vieux papier timbré, dont elle avait trouvé moyen de se nantir ; elle faisait repeindre les magasins à neuf et y installait des commis improvisés, qu’elle payait trois francs par journée. C’était une sorte de bande noire qui dévalisait la caisse de la Ville.

Les avocats étaient-ils dupes ou complices ? Je pose la question sans me permettre de la résoudre. Quelques-uns furent maladroits et furent vertement menés. L’un d’eux plaidait pour un fruitier ; il agitait le livre de commerce de l’exproprié, il indiquait le nombre des clients et demandait une indemnité considérable. L’avoué de la Ville l’interrompit pour lui dire : « Je connais ce livre : c’est le livre des fruitiers ; il a déjà servi plusieurs fois. » L’avocat se récria avec indignation. L’avoué reprit : « Regardez page 54, vous y trouverez mon parafe. » En effet, à une précédente audience, comme les sommes enregistrées sur ce registre