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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/280

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plaisant de donner aux Encyclopédistes, fit à lui seul tout le succès du pamphlet qui avait lancé ce mot nouveau[1]. L’auteur anonyme se suppose égaré parmi les Cacouacs, ne comprend rien à ce qu’il leur entend dire et s’endort jusqu’à ce qu’on le réveille et qu’on lui ouvre l’esprit au moyen d’un encens magique, dont on fait une grande consommation dans cet étrange pays. Il voit alors la Géométrie, représentée en reine, et portant sa tête dans les cieux (voilà pour d’Alembert) ; plus loin la Morale, assise aux pieds de la Nature, dort la tête penchée sur des pavots, tandis que l’Amour brise les chaînes de l’Hymen et lui donne des ailes — sans doute pour voler et butiner où le plaisir l’appelle — (voilà pour le philosophe de la nature, Diderot). Sur une grande table, s’élèvent sept in-folios marqués des sept premières lettres de l’alphabet ; si on ouvre ces gros volumes, on y trouve un « assemblage confus de matières hétérogènes ». On le voit, l’auteur du pamphlet n’avait pas tout l’esprit qu’il fallait pour faire trembler les Cacouacs.

À tout prendre, ce n’étaient guère là que des chiquenaudes données au colosse, lequel, il est vrai, fit mine de s’en émouvoir et d’en être alarmé (ne fût-ce que pour crier, une fois de plus, à la persécution), mais n’en fut pas autrement ébranlé. Nous le verrons tout à l’heure aux prises avec des ennemis plus redoutables que les Moreau et les Poinsinet ; en attendant, le voici en butte aux coups de boutoir, sans cesse répétés et redoublés, de satiriques dont la verve et parfois même l’éloquence égalent la colère et

  1. Le « Nouveau Mémoire pour servir à l’histoire des Cacouacs » parut à Amsterdam en 1757. L’auteur était, non un jésuite, comme le soupçonnait Grimm, mais un ancien avocat au parlement d’Aix, Nicolas Moreau, plus tard bibliothécaire de Marie-Antoinette et historiographe de France. Il avait paru déjà dans le Mercure (6 octobre 1757), un « Premier mémoire sur les Cacouacs. » Y a-t-il, dans la satire de Moreau, ces accusations « odieuses », dont Grimm se plaint et dont parle M. Assézat (Diderot, XIII, 117) ? Nous n’avons rien trouvé que de bien inoffensif dans les deux Mémoires, d’ailleurs aussi plats l’un que l’autre. Moreau, dans une note, veut bien nous donner le sens du mot cacouac : « Il est à remarquer que le mot grec καχος (sic) qui ressemble à celui de cacouac, signifie méchant. »