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l’objet de la théorie physique

leur de l’or ou un poids plus considérable (en se conformant aux lois de la matière) ou la transparence à quelque pierre non diaphane, ou la ténacité au verre, ou la végétation à quelque corps non végétant, il faut voir, disons-nous, quel précepte et quelle direction on désirerait surtout recevoir. »

Ces préceptes vont-ils nous apprendre à conduire et à ordonner nos expériences selon des règles fixes ? Cette direction nous enseignera-t-elle le moyen de classer nos observations ? Point. L’expérience se fera sans idée préconçue, l’observation sera recueillie au hasard ; les résultats en seront enregistrés tout bruts, au fur et à mesure qu’ils se présenteront, en des tables de faits positifs, de faits négatifs, de degrés ou de comparaisons, d’exclusions ou de rejets, où un esprit français ne verrait que des amas désordonnés de documents inutilisables. Il est vrai, Bacon consent à établir certaines catégories de faits privilégiés ; mais ces catégories, il ne les classe pas, il les énumère ; il ne les analyse pas afin de fondre en une même espèce celles qui ne seraient point irréductibles les unes aux autres, il en compte vingt-sept genres et nous laisse ignorer pourquoi il clôt la liste après le vingt-septième genre ; il ne cherche point une formule précise qui caractérise et définisse chacune des catégories de faits privilégiés, il se contente de l’affubler d’un nom qui évoque une image sensible : faits isolés, de migration, indicatifs, clandestins, en faisceau, limitrophes, hostiles, d’alliance, de la croix, du divorce, de la lampe, de la porte, du cours d’eau. Tel est le chaos que certains — qui n’ont jamais lu Bacon — opposent à la méthode cartésienne et appellent méthode baconienne.