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l’objet de la théorie physique

générales, formulées dans le langage clair et précis de la géométrie et de l’algèbre, reliées entre elles par les règles d’une sévère logique ; cet ensemble satisfait pleinement la raison d’un physicien français, son goût de la clarté, de la simplicité et de l’ordre.

Il n’en va pas de même pour un Anglais ; ces notions abstraites de point matériel, de force, de ligne de force, de surface d’égal niveau potentiel, ne satisfont pas son besoin d’imaginer des choses concrètes, matérielles, visibles et tangibles. « Tant que nous nous en tenons à ce mode de représentation, dit un physicien anglais[1], nous ne pouvons nous former une représentation mentale des phénomènes qui se passent réellement. » C’est pour satisfaire à ce besoin qu’il va créer un modèle.

Le physicien français ou allemand concevait, dans l’espace qui sépare les deux conducteurs, des lignes de force abstraites, sans épaisseur, sans existence réelle ; le physicien anglais va matérialiser ces lignes, les épaissir jusqu’aux dimensions d’un tube qu’il remplira de caoutchouc vulcanisé ; à la place d’une famille de lignes de force idéales, concevables seulement par la raison, il aura un paquet de cordes élastiques, visibles et tangibles, solidement collées par leurs deux extrémités aux surfaces des deux conducteurs, distendues, cherchant à la fois à se raccourcir et à grossir ; lorsque les deux conducteurs se rapprochent l’un de l’autre, il voit ces cordes élastiques les tirer, il voit chacune d’elles se ramasser et s’enfler ; tel est le célèbre modèle des actions électrostatiques imaginé par Faraday,

  1. O. Lodge : Op. cit., p. 16.