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théories abstraites et modèles mécaniques

mais encore elle constitue un procède d’invention ; il peut arriver, en effet, qu’en l’un de ces deux domaines auxquels convient le même plan algébrique, l’intuition expérimentale pose tout naturellement un problème, qu’elle en suggère la solution, tandis qu’en l’autre domaine, le physicien n’eût pas été aussi aisément conduit à formuler cette question ou à lui donner cette réponse.

Ces diverses manières de faire appel à l’analogie entre deux groupes de lois physiques ou entre deux théories distinctes sont donc fécondes en découvertes ; mais on ne saurait les confondre avec l’emploi de modèles. Elles consistent à rapprocher l’un de l’autre deux systèmes abstraits, soit que l’un d’eux, déjà connu, serve à deviner la forme de l’autre, que l’on ne connaît point encore ; soit que, formulés tous deux, ils s’éclairent l’un l’autre. Il n’y a rien là qui puisse étonner le logicien le plus rigoureux ; mais il n’y a rien non plus qui rappelle les procédés chers aux esprits amples et faibles ; rien qui substitue l’usage de l’imagination à l’usage de la raison ; rien qui rejette l’intelligence, logiquement conduite, de notions abstraites et de jugements généraux pour la remplacer par la vision d’ensembles concrets.

Si nous évitons d’attribuer à l’emploi des modèles les découvertes qui sont dues, en réalité, aux théories abstraites ; si nous prenons garde, également, de ne point confondre l’usage de tels modèles avec l’usage de l’analogie, quelle sera la part exacte des théories imaginatives dans les progrès de la Physique ?

Cette part nous semble assez faible.

Le physicien qui a le plus formellement identifié