Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
156
l’objet de la théorie physique

l’intelligence d’une théorie et la vision d’un modèle, lord Kelvin, s’est illustré par d’admirables découvertes ; nous n’en voyons aucune qui lui ait été suggérée par la Physique imaginative. Ses plus belles trouvailles, le transport électrique de la chaleur, les propriétés des courants variables, les lois de la décharge oscillante, et beaucoup d’autres qu’il serait trop long de citer, ont été faites au moyen des systèmes abstraits de la Thermodynamique et de l’Electrodynamique classiques. Partout où il appelle à son aide les modèles mécaniques, il se borne à faire œuvre d’exposition, à représenter des résultats déjà obtenus ; ce n’est point là qu’il fait œuvre d’invention.

De même, il ne paraît pas que le modèle des actions électrostatiques et électro magnétiques, construit dans le mémoire : On physical Lines of Force, ait aidé Maxwell à créer la théorie électro magnétique de la lumière. Sans doute, il s’efforce de tirer de ce modèle les deux formules essentielles de cette théorie ; mais la manière même dont il dirige ses tentatives montre de reste que les résultats à obtenir lui étaient connus par ailleurs ; dans son désir de les retrouver coûte que coûte, il va jusqu’à fausser l’une des formules fondamentales de l’élasticité[1]. Il n’a pu créer la théorie qu’il entrevoyait qu’en renonçant à l’emploi de tout modèle, qu’en étendant, par voie d’analogie, aux courants de déplacement le système abstrait de l’Electrodynamique.

Ainsi, ni dans l’œuvre de lord Kelvin, ni dans l’œuvre de Maxwell, l’emploi des modèles mécaniques

  1. P. Duhem : Les Théories électriques de J.-Clerk Maxwell, étude historique et critique, Paris, 1902, p. 212.