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théories abstraites et modèles mécaniques

n’a montré cette fécondité qu’on lui attribue si volontiers aujourd’hui.

Est-ce à dire qu’aucune découverte n’ait jamais été suggérée à aucun physicien par cette méthode ? Pareille affirmation serait d’une exagération ridicule. L’invention n’est assujettie à aucune règle fixe. Il n’est doctrine si sotte qu’elle n’ait pu, quelque jour, susciter une idée neuve et heureuse. L’astrologie judiciaire a eu sa part dans le développement des principes de la Mécanique céleste.

D’ailleurs, celui qui voudrait dénier toute fécondité à l’emploi des modèles mécaniques se verrait opposer des exemples tout récents. On lui citerait la théorie électro-optique de M. Lorentz, prévoyant le dédoublement des raies spectrales dans un champ magnétique et provoquant M. Zeemann à observer ce phénomène. On lui citerait les mécanismes imaginés par M. J.-J. Thomson pour représenter le transport de l’électricité au sein d’une masse gazeuse et les curieuses expériences qui y ont été rattachées.

Sans doute, ces exemples mêmes prêteraient à discussion.

On pourrait observer que le système électro-optique de M. Lorentz, bien que fondé sur des hypothèses mécaniques, n’est plus un simple modèle, mais une théorie étendue, dont les diverses parties sont logiquement liées et coordonnées ; que, d’ailleurs, le phénomène de Zeemann, loin de confirmer la théorie qui en a suggéré la découverte, a eu pour premier effet de prouver que cette théorie ne pouvait être maintenue telle quelle et de démontrer qu’elle exigeait au moins de profondes modifications.