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l’objet de la théorie physique

On pourrait remarquer aussi que le lien est bien lâche entre les représentations que M. J.-J. Thomson offre à notre imagination et les faits bien observés d’ionisation des gaz ; que, peut-être, les modèles mécaniques, juxtaposés à ces faits, obscurcissent les découvertes déjà faites plutôt qu’ils n’éclairent les découvertes à faire.

Mais ne nous attardons pas à ces arguties. Admettons sans détour que l’emploi de modèles mécaniques a pu guider certains physiciens dans la voie de l’invention et qu’elle pourra encore conduire à d’autres trouvailles. Du moins est-il certain qu’elle n’a point apporté aux progrès de la Physique cette riche contribution que l’on nous vantait ; la part de butin qu’elle a ajoutée à la masse de nos connaissances semble bien maigre lorsqu’on la compare aux opulentes conquêtes des théories abstraites.



§ X. — L’usage des modèles mécaniques doit-il supprimer la recherche d’une théorie abstraite et logiquement ordonnée ?

Nous avons vu les plus illustres physiciens, parmi ceux qui recommandent l’emploi des modèles mécaniques, user de cette forme de théorie bien moins comme moyen d’invention que comme procédé d’exposition. Lord Kelvin lui-même n’a point proclamé le pouvoir divinateur des mécanismes qu’il a construits en si grand nombre ; il s’est borné à déclarer que le secours de telles représentations concrètes était indispensable à son intelligence, qu’il ne pourrait sans elles parvenir à la claire aperception d’une théorie.