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les qualités premières

exemple, tant qu’un atomiste n’avait pas réduit un effet physique à la grandeur, à la figure, à l’agencement des atomes et aux lois du choc, il savait que son œuvre n’était point achevée ; tant qu’un cartésien trouvait autre chose, en une qualité, que « l’étendue et son changement tout nud », il était certain de n’en avoir point atteint la véritable nature.

Pour nous, qui ne prétendons point expliquer les propriétés des corps, mais seulement en donner une représentation algébrique condensée ; qui ne nous réclamons, dans la construction de nos théories, d’aucun principe métaphysique, mais entendons faire de la Physique une doctrine autonome, où prendrions-nous un critère qui nous permette de déclarer telle qualité vraiment simple et irréductible, telle autre complexe et destinée à une plus pénétrante dissection ?

En regardant une propriété comme première et élémentaire, nous n’entendrons nullement affirmer que cette qualité est, par nature, simple et indécomposable ; nous proclamerons seulement une vérité de fait ; nous déclarerons que tous nos efforts pour réduire cette qualité à d’autres ont échoué, qu’il nous a été impossible de la décomposer.

Toutes les fois donc qu’un physicien constatera un ensemble de phénomènes jusqu’alors inobservés, qu’il découvrira un groupe de lois qui semblent manifester une propriété nouvelle, il cherchera d’abord si cette propriété n’est pas une combinaison, auparavant insoupçonnée, de qualités déjà connues et acceptées dans les théories admises. C’est seulement après que ses efforts, variés en mille manières, auront échoué, qu’il se décidera à regarder cette propriété comme une