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la structure de la théorie physique

ne soient très vrais et très certains ; il est très vrai et très certain qu’une voiture non attelée n’avance pas, qu’attelée de deux chevaux elle marche plus vite qu’attelée d’un seul cheval. Nous l’avons dit à plusieurs reprises : Ces certitudes et ces vérités du sens commun sont, en dernière analyse, la source d’où découle toute vérité et toute certitude scientifique. Mais, nous l’avons dit aussi, les observations du sens commun sont d’autant plus certaines qu’elles détaillent moins, qu’elles se piquent moins de précision ; les lois de sens commun sont très vraies, mais à la condition expresse que les termes généraux entre lesquels elles établissent un lien soient de ces abstractions spontanément et naturellement jaillies du concret, de ces abstractions inanalysées, prises en bloc, comme l’idée générale de voiture ou l’idée générale de cheval.

C’est une grave méprise de prendre des lois qui relient des idées si complexes, si riches de contenu, si peu analysées, et de vouloir les traduire immédiatement au moyen des formes symboliques, produits d’une simplification et d’une analyse portées à l’extrême, qui composent le langage mathématique ; c’est une illusion singulière que de prendre l’idée de puissance motrice constante comme équivalente à l’idée de cheval, l’idée de mobile absolument libre comme représentation de l’idée de voiture. Les lois de sens commun sont des jugements touchant les idées générales, extrêmement complexes, que nous concevons à propos de nos observations quotidiennes ; les hypothèses de Physique sont des relations entre des symboles mathématiques amenés au plus haut degré de simplification ; il est absurde de méconnaître l’ex-