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l’objet de la théorie physique

déduisant toutes de quelques principes ; ce qui est stérile et périssable, c’est le labeur entrepris pour expliquer ces principes, pour les rattacher à des suppositions touchant les réalités qui se cachent sous les apparences sensibles.

On a souvent comparé le progrès scientifique à une marée montante ; appliquée à l’évolution des théories physiques, cette comparaison nous semble fort juste et peut être suivie jusque dans ses détails.

Celui qui jette un regard de courte durée sur les flots qui assaillent une grève ne voit pas la marée monter ; il voit une lame se dresser, courir, déferler, couvrir une étroite bande de sable, puis se retirer en laissant à sec le terrain qui avait paru conquis ; une nouvelle lame la suit, qui parfois va un peu plus loin que la précédente, parfois aussi n’atteint même pas le caillou que celle-ci avait mouillé. Mais sous ce mouvement superficiel de va-et-vient, un autre mouvement se produit, plus profond, plus lent, imperceptible à l’observateur d’un instant, mouvement progressif qui se poursuit toujours dans le même sens, et par lequel la mer monte sans cesse. Le va-et-vient des lames est l’image fidèle de ces tentatives d’explication qui ne s’élèvent que pour s’écrouler, qui ne s’avancent que pour reculer ; au dessous se poursuit le progrès lent et constant de la classification naturelle dont le flux conquiert sans cesse de nouveaux territoires, et qui assure aux doctrines physiques la continuité d’une tradition.