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l’objet de la théorie physique

siens ou des atomistes ne pouvaient souffrir que l’on imposât des limites aussi humbles aux prétentions de la Physique théorique ; se borner à donner des phénomènes une représentation géométrique c’était, à leur avis, ne point avancer dans la connaissance de la nature ; ceux qui se contentaient d’un progrès aussi vain ne méritaient guère que des sarcasmes :

« Avant que de faire usage des principes qu’on vient d’établir, dit un cartésien[1], je crois qu’il ne sera pas hors de propos d’entrer dans l’examen de ceux que M. Newton fait servir de fondement à son système. Ce nouveau philosophe, déjà illustré par les rares connaissances qu’il avait puisées dans la Géométrie, souffrait impatiemment qu’une nation étrangère à la sienne put se prévaloir de la possession où elle était d’enseigner les autres et de leur servir de modèle ; excité par une noble émulation et guidé par la supériorité de son génie, il ne songea plus qu’à affranchir sa patrie de la nécessité où elle croyait être d’emprunter de nous l’art d’éclairer les démarches de la nature, et de la suivre dans ses opérations. Ce ne fut point encore assez pour lui. Ennemi de toute contrainte, et sentant que la Physique le gênerait sans cesse, il la bannit de sa Philosophie ; et de peur d’être forcé de réclamer quelquefois son secours, il eut soin d’ériger en lois primordiales les causes intimes de chaque phénomène particulier ; par là, toute difficulté fut aplanie ; son travail ne roula plus que sur des sujets traitables qu’il sût assujettir à ses calculs ; un phénomène analysé

  1. De Gamaches : Principes généraux de la Nature appliqués au mécanisme astronomique et comparés aux principes de la Philosophie de M. Newton. Paris, 1740, p. 67.