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l’objet de la théorie physique

stitue la théorie physique telle que nous l’avons définie ; elle mérite assurément l’épithète de théorie abstraite par laquelle Rankine la désigne.

Le double travail d’abstraction et de généralisation par lequel une théorie se constitue réalise, avons-nous dit[1], une double économie intellectuelle ; il est économique lorsqu’il substitue une loi unique à une multitude de faits ; il est encore économique lorsqu’il substitue un petit groupe d’hypothèses à un vaste ensemble de lois.

Ce caractère doublement économique que nous avons attribué à la théorie abstraite, tous ceux qui réfléchissent aux méthodes de la Physique le lui attribueront-ils avec nous ?

Rendre présents aux yeux de l’imagination un très grand nombre d’objets, de telle façon qu’ils soient saisis tous à la fois, dans leur agencement complexe, et non point pris un à un, arbitrairement séparés de l’ensemble auquel la réalité les attache, c’est, pour beaucoup d’hommes, une opération impossible ou, du moins, très pénible. Une foule de lois, toutes mises sur le même plan, sans qu’aucune classification les groupe, sans qu’aucun système les coordonne ou les subordonne les unes aux autres, leur apparaît comme un chaos où leur imagination s’épouvante, comme un labyrinthe où leur intelligence se perd. Par contre, ils conçoivent sans effort une idée que l’abstraction a dépouillée de tout ce qui exciterait la mémoire sensible ; ils saisissent clairement et complètement le sens d’un jugement reliant de telles idées ; ils sont habiles

  1. (1) Ch. II, § 2.