Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de quelle manière les règles de conduite y sont représentées, il faut bien que nous nous référions à quelque fait externe qui reflète cet état intérieur. Or il n’en est pas qui puisse mieux jouer ce rôle que la sanction. Il est impossible en effet que les membres d’une société reconnaissent une règle de conduite comme obligatoire sans réagir contre tout acte qui la viole ; cette réaction est même tellement nécessaire que toute conscience saine réprouve idéalement à la seule pensée d’un tel acte. Si donc nous définissons la règle morale par la sanction qui y est attachée, ce n’est pas que nous considérions le sentiment de l’obligation comme un produit de la sanction. Au contraire, c’est parce que celle-ci dérive de celui-là qu’elle peut servir à le symboliser, et comme ce symbole a le grand avantage d’être objectif, accessible à l’observation et même à la mesure, il est de bonne méthode de le préférer à la chose qu’il représente. Pour devenir scientifique l’étude des faits moraux, doit suivre l’exemple des autres sciences. Celles-ci s’efforcent par tous les moyens possibles d’écarter les sensations personnelles de l’observateur pour atteindre les faits en eux-mêmes. De même, il faut que le moraliste procède de manière à ne prendre pour obligatoire que ce qui est obligatoire et non ce qui lui parait tel ; qu’il prenne pour matière de ses recherches des réalités et non des apparences subjectives. Or, la réalité d’une obligation n’est certaine que si elle se manifeste par quelque sanction.

Mais alors, si l’on s’en tient à cette définition, tout le droit entre dans la morale ? — Nous croyons en effet ces deux domaines trop intimement unis pour pouvoir être radicalement séparés. Il se produit entre eux des échanges continuels ; tantôt ce sont des règles morales qui deviennent juridiques et tantôt des règles juridiques qui deviennent morales. Très souvent le droit ne saurait être détaché des mœurs qui en sont le substrat, ni les mœurs du droit qui les réalise et les détermine. Aussi n’est-il guère de moralistes qui aient poussé la logique jusqu’à mettre tout le droit en dehors de la morale. La plupart reconnaissent