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Jouffroy, comte d’Uzelles ; M. Henri de Cordoue, comte de Lyon, comme procureur de M. René-Charles vicomte d’Harambure ; M. Frédéric marquis d’Yonne, au nom et comme procureur de M. Ch.-F. Monnin de Follenai, et M. Jean-Denis Bernard… en parlement seigneur de Bellaire, lesquels ont dit : que le sieur d’Auxiron avait proposé de s’obliger à faire construire, sous ses yeux et d’après les plans qu’il en donnerait, une pompe à feu pour servir à remonter, sur toutes les rivières du royaume, des bateaux chargés de marchandises jusqu’à concurrence du poids de cent mille livres, avec moins de frais et plus d’allécité qu’on ne le fait actuellement avec le secours des hommes et des chevaux ; que pour former un pareil établissement il convenait de faire des fonds considérables ; les choses étant en cet état, lesdits messieurs se sont associés entre eux, aux charges et conditions qui vont être énoncées : 1o M. d’Auxiron s’oblige de donner tous ses soins et attentions pour faire construire sous ses yeux les machines qui seront nécessaires au commerce des rivières de la Seine, du Rhône, de la Loire et de la Garonne, et les douze premiers bâtiments de mer au mouvement desquels la machine pourrait être appliquée utilement, etc.[1] »

Aussitôt d’Auxiron se met à l’œuvre. En décembre 1772, il fait construire le bateau, près de l’île des Cygnes, à Paris.

En janvier 1773, la chaudière de la machine à vapeur est installée à bord et soumise aux épreuves nécessaires pour constater sa résistance.

Au mois de février, on place, dans le bateau, les deux roues, fixées sur un arbre commun.

Cependant, les bateliers de la Seine voyaient de mauvais œil le travail des associés. Il fallut établir, pendant la nuit, une garde militaire dans l’île des Cygnes, pour défendre le bateau, et lui éviter le parti funeste que, dans des circonstances toutes semblables, moins d’un siècle auparavant, les bateliers du Wéser avaient fait subir au bateau à vapeur de Papin.

Au mois d’avril, on pose sur la chaudière les cylindres de la machine à vapeur, et le 21 du même mois, le célèbre mécanicien Périer vient visiter le bateau.

Comme les dispositions des riverains semblaient toujours aussi suspectes, et que la malveillance des compagnies de transport n’était pas dissimulée, d’Auxiron se décida à quitter l’île des Cygnes. Il fit conduire le bateau près de Meudon.

Malgré d’assez longs retards, qu’explique suffisamment la nouveauté de ce genre de travail pour des ouvriers parisiens, l’installation de la machine à vapeur à bord du bateau était terminée, et tout s’apprêtait pour une expérience décisive, lorsqu’un événement déplorable vint terminer brusquement et cruellement l’entreprise.

Pendant une nuit du mois de septembre 1774, le bateau disparut. Il avait sombré en pleine rivière.

Un certain Bellery, commis principal, ainsi que ses ouvriers, soit par connivence avec les adversaires de l’entreprise, soit par maladresse, avaient laissé tomber brusquement, au fond du bateau, l’énorme contre-poids de la pompe à feu, qui pesait 130 livres. C’était vers la fin du jour, et les ouvriers se retiraient, ne laissant personne à bord. Cette énorme masse ouvrit le fond du bateau ; une voie d’eau s’y forma, et le malheureux pyroscaphe coula à fond dans la nuit. Les appareils mécaniques, la chaudière, tout fut altéré ou détruit par cette submersion fatale.

Ce fut le coup de la mort pour l’entreprise, comme aussi pour l’inventeur.

La perte soudaine du bateau souleva, dans la Compagnie et au dehors, toutes sortes de suspicions, de contestations et de plaintes. On allait jusqu’à suspecter l’honneur et la probité du malheureux inventeur, qui repoussait ces reproches avec une indignation méritée. Les actionnaires, outrés de leur déconvenue, s’en prenaient même à Follenai. On parlait de le citer devant le conseil des maréchaux.

D’Auxiron et Follenai tenaient tête avec vigueur à cette opposition malveillante et cruelle. Le 17 juillet 1775, ils citaient devant les prévôts des marchands et échevins de

  1. Notice sur les premiers essais de navigation à vapeur (1772-1774), par Ch. Paguelle, p. 4-5.