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cours. Mais, dès qu’il eut reconnu son erreur, il se rendit lui-même le long du bord du steamer, pour examiner plus attentivement cette merveille.

À l’entrée des docks de Liverpool, le Savannah fut reçu avec des hourras d’enthousiasme. Le capitaine se vit fêté par tous les corps constitués de la ville[1].

Après ce succès, le Savannah se rendit dans la mer Baltique. Se trouvant dans le port de Cronstadt, il essuya une tempête des plus violentes, à laquelle toutefois il put échapper, grâce au secours de ses roues, au moment où un grand nombre de bâtiments à voiles se perdaient autour de lui. Pendant son séjour à Saint-Pétersbourg, l’empereur Alexandre fit à ce steamer une visite détaillée. Pour témoigner l’admiration que lui inspirait le nouveau paquebot transatlantique, il fit accepter au capitaine Rogers deux magnifiques chaînes en fer provenant des arsenaux de la Russie et dont une (la seule relique qui reste aujourd’hui de l’aventureux navire) est encore conservée dans le jardin de M. Dunning, à Savannah, en souvenir de cette entreprise audacieuse.

À son retour à Savannah, après sa tournée en Europe, ce steamer fut envoyé à Washington, où il fut vendu. On lui enleva alors sa machine, et il redevint paquebot à voiles. Il a terminé sa carrière aventureuse sur Long-Island, où il se perdit dans un dernier voyage.

Après le tour de force de navigation qui fut accompli par le Savannah en 1819, on cite encore, dans le même ordre de tentatives, le steamer anglais l’Entreprise, qui, en 1825, fit le voyage des Indes. Parti de Falmouth, ce navire, qui se servit alternativement du vent et de la vapeur, resta quarante-sept jours à aller du cap de Bonne-Espérance à Calcutta.

À la même époque, un bâtiment hollandais réussit à exécuter, en se servant alternativement de ces deux moyens, le voyage d’Amsterdam à Curaçao, dans les Antilles.

Le succès de ces deux derniers voyages fit concevoir l’espoir de traverser l’océan Atlantique par le seul secours de la vapeur. À l’Angleterre appartient l’honneur d’avoir accompli cette grande entreprise, et d’avoir réalisé le fait, longtemps regardé comme un rêve, d’exécuter le voyage d’Amérique avec des bâtiments à vapeur.

C’est en 1836 que l’on parla pour la première fois, en Angleterre, de ce projet hardi, qui rencontra dès le début de vives résistances de la part des marins et des savants. Des hommes du métier, d’une autorité incontestable, affirmaient qu’il serait impossible d’établir un service régulier de bateaux à vapeur pour la traversée de l’Océan. Tout ce que l’on pouvait espérer, disait-on, c’était de passer des ports les plus à l’ouest de l’Europe aux îles Açores ou à Terre-Neuve, pour y renouveler la provision de combustible.

Des raisons puissantes semblaient justifier cette prédiction décourageante. Il fallait franchir une distance d’environ 1 400 de nos lieues terrestres, sans trouver un seul point de relâche intermédiaire, qui pût fournir aux navires un secours ou un abri. En outre, l’Atlantique est souvent agité par de violentes tempêtes, et le trajet vers le Nouveau-Monde est coupé de nombreux courants contraires aux vaisseaux partis d’Europe ; de telle sorte que ce voyage, effectué par des navires à voiles, exige ordinairement trente-six jours.

La quantité de charbon à emporter pour suffire, pendant cette longue traversée, à l’alimentation de la chaudière, semblait donc, au dire des marins, devoir opposer à cette entreprise une difficulté insurmontable. L’exemple invoqué du steamer l’Entreprise, qui avait fait, en 1825, le voyage des Indes, était loin, ajoutait-on, d’être concluant, car ce navire avait relâché au cap de Bonne-Espérance. Il avait mis quarante-

  1. Les faits précédents, qui ont été rapportés en 1857 par le Courrier des États-Unis, sont consignés dans les annales de Liverpool, et les lettres commerciales de cette époque racontent avec détails le succès du bâtiment américain.