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cure était moindre au sommet qu’au bas de la montagne, la pression de l’air serait positivement démontrée, car l’air diminue de masse dans les hautes régions, tandis que l’on ne peut admettre que la nature ait de l’horreur pour le vide au pied d’une montagne et qu’elle le souffre à son sommet.

Le Puy-de-Dôme, élevé de quatorze cent soixante-sept mètres et placé aux portes d’une grande ville, lui parut merveilleusement propre à cet important essai. Mais retenu à Paris par d’autres soins, il ne pouvait songer à l’exécuter lui-même. Heureusement, son beau-frère Périer, conseiller à la cour des aides d’Auvergne, se trouvait alors à Moulins. Il avait assisté aux expériences faites à Rouen, et il possédait assez de connaissances scientifiques pour que l’on pût se reposer sur lui du soin de procéder à cette vérification avec toute la précision nécessaire. Le 15 novembre 1647, Pascal écrivait donc à Périer, pour réclamer de lui ce service.

Nous rapporterons ici dans son entier la Lettre de Pascal à son beau-frère Périer, chef-d’œuvre de raisonnement, que l’on ne peut lire sans une admiration profonde pour la sagesse et la portée de ce grand esprit.


« Monsieur,

« Je n’interromprais pas le travail continuel où vos emplois vous engagent, pour vous entretenir de méditations physiques, si je ne savais qu’elles servent à vous délasser en vos heures de relâche, et qu’au lieu que d’autres en seraient embarrassés, vous en aurez du divertissement. J’en fais d’autant moins de difficulté que je sais le plaisir que vous recevez en cette sorte d’entretiens. Celui-ci ne sera qu’une continuation de ceux que nous avons eus ensemble touchant le vuide. Vous savez quels sentiments les philosophes ont eus sur ce sujet. Tous ont tenu pour maxime que la nature abhorre le vuide, et presque tous, passant plus avant, ont soutenu qu’elle ne peut l’admettre et qu’elle se détruirait elle-même plutôt que de le souffrir. Ainsi les opinions ont été divisées : les uns se sont contentés de dire qu’elle l’abhorrait seulement ; les autres ont maintenu qu’elle ne pouvait le souffrir. J’ai travaillé dans mon Abrégé du Traité du vuide, à détruire cette dernière opinion ; et je crois que les expériences que j’y ai rapportées suffisent pour faire voir manifestement que la nature peut souffrir et souffre en effet un espace si grand que l’on voudra, vuide de toutes les matières qui sont à notre connaissance et qui tombent sous nos sens. Je travaille maintenant à examiner la vérité de la première, savoir, que la nature abhorre le vuide, et à chercher des expériences qui fassent voir si les effets que l’on attribue à l’horreur du vuide doivent être véritablement attribués à cette horreur du vuide, ou s’ils doivent l’être à la pesanteur et pression de l’air ; car, pour vous ouvrir franchement ma pensée, j’ai peine à croire que la nature, qui n’est point animée ni sensible, soit susceptible d’horreur, puisque les passions supposent une âme capable de les ressentir ; et j’incline bien plus à imputer tous ces effets à la pesanteur et pression de l’air, parce que je ne les considère que comme des cas particuliers d’une proposition universelle de l’équilibre des liqueurs, qui doit faire la plus grande partie du Traité que j’ai promis. Ce n’est pas que je n’eusse ces mêmes pensées lors de la production de mon Abrégé ; et toutefois, faute d’expériences convaincantes, je n’osai pas alors (et je n’ose pas encore) me départir de la maxime de l’horreur du vuide, et je l’ai même employée pour maxime dans mon Abrégé, n’ayant alors d’autre dessein que de combattre l’opinion de ceux qui soutiennent que le vuide est absolument impossible, et que la nature souffrirait plutôt sa destruction que le moindre espace vuide. En effet, je n’estime pas qu’il nous soit permis de nous départir légèrement des maximes que nous tenons de l’antiquité, si nous n’y sommes obligés par des preuves convaincantes et invincibles. Mais, dans ce cas, je tiens que ce serait une extrême faiblesse d’en faire le moindre scrupule, et qu’enfin nous devons avoir plus de vénération pour les vérités évidentes que d’obstination pour ces opinions reçues. Je ne saurais mieux vous témoigner la circonspection que j’apporte avant que de m’éloigner des anciennes maximes, que de vous remettre dans la mémoire l’expérience que je fis ces jours passés, en votre présence, avec deux tuyaux l’un dans l’autre, qui montre apparemment le vuide dans le vuide. Vous vîtes que le vif-argent du tuyau intérieur demeura suspendu à la hauteur où il se tient par l’expérience ordinaire, quand il était contre-balancé et pressé par la pesanteur de la masse entière de l’air ; et qu’au contraire il tomba entièrement sans qu’il lui restât aucune hauteur ni suspension, lorsque, par le moyen du vuide dont il fut environné, il ne fut plus du tout pressé ni contre-balancé d’aucun air, en ayant été destitué de tous côtés. Vous vîtes ensuite que cette hauteur de suspension du vif-argent augmentait ou diminuait à mesure que la pression de l’air augmentait ou diminuait, et qu’enfin toutes ces diverses hauteurs de suspension du vif-argent se trouvaient toujours proportionnées à la pression de l’air.

    courant de ce qui se faisait par son instigation. Que faut-il penser de ces insinuations ? Peut-être Descartes s’exagérait-il à lui-même l’importance de quelques conseils, plus ou moins tardifs, adressés à son heureux émule.