Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/41

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« Certainement, après cette expérience, il y avait lieu de se persuader que ce n’est pas l’horreur du vuide, comme nous estimons, qui cause la suspension du vif-argent dans l’expérience ordinaire, mais bien la pesanteur et pression de l’air qui contre-balance la pesanteur du vif-argent. Mais parce que tous les effets de cette dernière expérience des deux tuyaux, qui s’expliquent si naturellement par la seule pression et pesanteur de l’air, peuvent encore être expliqués assez probablement par l’horreur du vuide, je me tiens dans cette ancienne maxime, résolu néanmoins de chercher l’éclaircissement entier de cette difficulté par une expérience décisive.

« J’en ai imaginé une qui pourra seule suffire pour nous donner la lumière que nous cherchons, si elle peut être exécutée avec justesse. C’est de faire l’expérience ordinaire du vuide plusieurs fois le même jour, dans un même tuyau, avec le même vif-argent, tantôt au bas et tantôt au sommet d’une montagne, élevée pour le moins de cinq ou six cents toises, pour éprouver si la hauteur du vif-argent suspendu dans le tuyau se trouvera pareille ou indifférente dans les deux situations. Vous voyez déjà, sans doute, que cette expérience est décisive sur la question, et que s’il arrive que la hauteur du vif-argent soit moindre au haut qu’au bas de la montagne (comme j’ai beaucoup de raisons pour le croire, quoique tous ceux qui ont médité sur cette matière soient contraires à ce sentiment), il s’ensuivra nécessairement que la pesanteur et pression de l’air est la seule cause de cette suspension du vif-argent, et non pas l’horreur du vuide, puisqu’il est bien certain qu’il y a beaucoup plus d’air qui pèse sur le pied de la montagne que non pas sur le sommet ; au lieu que l’on ne saurait dire que la nature abhorre le vuide au pied de la montagne plus que sur le sommet.

« Mais comme la difficulté se trouve d’ordinaire jointe aux grandes choses, j’en vois beaucoup dans l’exécution de ce dessein, puisqu’il faut pour cela choisir une montagne excessivement haute, proche d’une ville, dans laquelle se trouve une personne capable d’apporter à cette épreuve toute l’exactitude nécessaire. Car si la montagne était éloignée, il serait difficile d’y porter des vaisseaux, le vif-argent, les tuyaux et beaucoup d’autres choses nécessaires, et d’entreprendre ce voyage pénible autant de fois qu’il le faudrait pour rencontrer, au haut de ces montagnes, le temps serein et commode qui ne s’y voit que peu souvent ; et comme c’est aussi rare de trouver des personnes hors de Paris qui aient ces qualités que des lieux qui aient ces conditions, j’ai beaucoup estimé mon bonheur d’avoir, en cette occasion, rencontré l’un et l’autre, puisque notre ville de Clermont est au pied de la haute montagne du Puy-de-Dôme, et que j’espère de votre bonté que vous m’accorderez la grâce de vouloir y faire vous-même cette expérience ; et, sur cette assurance, je l’ai fait espérer à tous nos curieux de Paris, et entre autres au R. P. Mersenne, qui s’est déjà engagé, par des lettres qu’il en a écrites en Italie, en Pologne, en Suède, en Hollande, etc., d’en faire part aux amis qu’il s’y est acquis par son mérite. Je ne touche pas aux moyens de l’exécution, parce que je sais bien que vous n’omettrez aucune des circonstances nécessaires pour le faire avec précaution.

« Je vous prie seulement que ce soit le plus tôt qu’il vous sera possible, et d’excuser cette liberté où m’oblige l’impatience que j’ai d’en apprendre le succès, sans lequel je ne puis mettre la dernière main au Traité que j’ai promis au public, ni satisfaire au désir de tant de personnes qui l’attendent, et qui vous en seront infiniment obligées. Ce n’est pas que je veuille diminuer ma reconnaissance par le nombre de ceux qui la partageront avec moi, puisque je veux, au contraire, prendre part à celle qu’ils vous auront, et à demeurer d’autant plus, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Pascal[1]. »
15 novembre 1647.

Périer reçut à Moulins la lettre de Pascal. Ses occupations de conseiller à la cour des aides le retinrent longtemps dans cette ville. Il ne put se rendre à Clermont que dans l’hiver de l’année suivante. Mais, pendant toute la durée du printemps et de l’été, le sommet du Puy-de-Dôme resta enveloppé de brouillards ou couvert de neiges qui en empêchaient l’accès ; il ne se dégagea entièrement que dans les premiers jours de septembre.

Le 20 septembre, à 5 heures du matin, le temps paraissait beau et la cime du Puy-de-Dôme se montrait à découvert : Périer résolut d’exécuter ce jour-là l’expérience depuis si longtemps méditée. Il fit avertir aussitôt les personnes qui devaient l’accompagner, et, à 8 heures du matin, tout le monde se trouvait réuni dans le jardin du couvent des Minimes. Le Père Bannier, ancien supérieur de l’ordre, le Père Mosnier, chanoine de l’église cathédrale de Clermont, La Ville et Begon, conseillers à la cour des aides, et Laporte, médecin de Clermont, furent les témoins et les acteurs de cette expédition mémorable.

Périer prit deux tubes de verre, longs de quatre pieds (1m,299) et fermés par un bout ;

  1. Œuvres de Blaise Pascal, t. IV, p. 346.