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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/542

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Malgré le péril, croissant de minute en minute, Romas demeura seul à son poste d’observation, affrontant stoïquement la mort pour les intérêts de la science et de l’humanité. Dans cette situation émouvante et dramatique, il conserva assez de sang-froid et de calme fermeté pour observer tous les phénomènes qui s’offraient à ses yeux, comme s’il eût procédé, dans le laboratoire, à une expérience ordinaire.

On entendait un bruissement continu, comparable au bruit d’un soufflet de forge. Une forte odeur sulfureuse émanait du conducteur ; elle était analogue à celle des machines électriques. Malgré la lumière du jour, on distinguait autour de la corde du cerf-volant, un cylindre lumineux, de trois à quatre pouces de diamètre. Il est probable, d’après cela, que si l’on eût opéré pendant la nuit, on eût assisté au spectacle admirable et vraiment unique, d’une immense colonne de lumière partant de la terre pour se perdre dans les cieux.

Trois longues pailles, qui se trouvaient par hasard sur le sol, commencèrent une sorte de danse de pantins, qui réjouit beaucoup les spectateurs. Ces pailles, soulevées de terre, circulaient en sautillant, comme des marionnettes, au-dessous du tuyau de fer-blanc : ce spectacle dura un quart d’heure. Ensuite, quelques gouttes de pluie étant tombées, l’électricité redoubla d’énergie.

Romas cria de nouveau aux assistants de se reculer, et lui-même, se tenant plus à l’écart, jugea bon de ne plus tirer d’étincelles, même avec l’excitateur. Cet acte de prudence n’était que trop justifié. Ce ne fut pas, en effet, sans effroi qu’on entendit une explosion violente, qui provenait de l’électricité du conducteur se déchargeant sur la plus longue des pailles.

Le bruit de l’explosion, formée de trois craquements successifs, ne fut pas aussi fort que celui du tonnerre ; mais on l’entendit jusque dans le milieu de la ville. Quelques assistants le comparèrent au bruit que ferait une grosse cruche de terre que l’on jetterait avec violence sur le pavé. La lame de feu qui parut au moment de cette explosion, avait la forme d’un fuseau de quatre à cinq lignes de diamètre. La paille s’éleva le long de la corde du cerf-volant ; on la vit jusqu’à une distance de 100 mètres, tantôt attirée, tantôt repoussée, avec cette circonstance que chaque fois qu’elle était attirée par la corde, il en partait des lames de feu accompagnées d’explosions.

À cette décharge, qui était certainement un petit coup de tonnerre, en succédèrent bientôt deux autres, occasionnées sans doute par quelques menus corps qui se trouvaient sur la terre au-dessous du tuyau de fer-blanc.

Une dernière observation que fit Romas dans le cours de cette expérience, et certainement la plus importante de toutes, c’est qu’à partir du moment où les étincelles tirées du conducteur de fer-blanc furent un peu fortes, jusqu’à la fin de l’expérience, les nuages ne donnèrent plus ni éclairs ni pluie, et qu’à peine entendit-on le tonnerre dans le ciel. Les signes d’orage reprirent après la chute du cerf-volant.

Ce fait prouve bien que Romas, dans cette expérience extraordinaire, fit avorter un orage, et déchargea des nuages électrisés, c’est-à-dire les dépouilla de la plus grande quantité de leur fluide, qu’il fit descendre, inoffensif, jusqu’à la terre[1].

L’expérience se termina par la chute du cerf-volant. Le vent ayant tourné à l’est, la pluie devint plus abondante et il tomba un peu de grêle. Dès lors le cerf-volant ne put plus se soutenir en l’air.

Pendant qu’il tombait, la corde ayant tou-

  1. L’expérience de Romas fait concevoir la possibilité d’un projet qui a été mis en avant par Arago, et qui consisterait à transformer les nuages orageux en nuages ordinaires, à l’aide de cerfs-volants ou d’aérostats munis de conducteurs convenables. En empêchant les orages, ce moyen pourrait aussi probablement prévenir la formation de la grêle, qui semble liée à la présence, dans les nuages, d’une grande quantité de fluide électrique.